• La belle personne, de Christophe Honoré (France, 2008)

Je like cet article sur les réseaux sociaux de l'internet!

Où ?

A la maison, sur Arte qui en tant qu’initiateur et producteur du film (dans le cadre d’une collection consacrée à l’adolescence) en a proposé une avant-première sur ses ondes avant la sortie en
salles ce mercredi

Quand ?

Vendredi soir

Avec qui ?

Ma femme

Et alors ?

La belle personne est un pari, doublé d’un acte politique. Le pari de Christophe Honoré est de considérer que la littérature classique romanesque française n’a rien de poussiéreux
et peut être adaptée telle quelle dans une situation contemporaine. L’acte politique se trouve dans le choix du roman – La princesse de Clèves, nommément cité et raillé par Nicolas
Sarkozy comme exemple de vieille peau inutile du patrimoine, n’ayant plus sa place dans l’enseignement actuel. Il est vrai que La princesse de Clèves parle de choses complètement
étrangères à notre président : introspection, engagement moral, fragilité intime face à la volatilité du cœur et de la vie.

Honoré emploie quantité de moyens intelligents et divers pour démontrer que la modernité ou non d’une œuvre n’est pas une propriété gravée dans le marbre, mais dépend de ce que celui qui la
reçoit en fait. Ainsi, dans le trio central seul le jouisseur-tentateur Nemours (Louis Garrel) conserve son nom d’origine ; les 2 jeunes amoureux vertueux (Léa Seydoux et Grégoire
Leprince-Ringuet) sont renommés Junie et Otto, 2 prénoms dont la provenance littéraire explicitée dans le film rappelle que l’art et la culture des générations précédentes vivent en nous et à
travers nous, qu’on le veuille ou non. Ces 3 personnages ont été placés par Honoré dans un lycée (Nemours y est professeur d’italien, Junie et Otto étudiants en première), le lycée Molière situé
dans le village d’Auteuil, en plein cœur du 16è arrondissement. Peut-être est-ce là un nouveau pied de nez à la caste dominante actuelle, en allant porter la « bonne parole » romantique
jusque dans ses terres ; mais il faut surtout y voir un choix inspiré de mise en scène. De même que le quartier qui l’entoure (où l’on passe d’un commissariat à la façade désuète et d’un
café très « vieille France » à des immeubles d’habitation sans âme à l’architecture typique des années 60), l’établissement fait le lien entre le passé et le présent – les portes
décaties et aux fenêtres bizarres, la cour centrale semblable à celle d’un cloître -, entre la campagne et l’urbain, pour aboutir à la mise en place d’un univers aux contours incertains,
perméable à l’irruption du romanesque. En cela, Honoré fait un choix inverse à celui d’Abdellatif Kechiche dans L’esquive: le décor des cités de banlieue y était l’expression sèche de l’incompatibilité entre les personnages
et le texte ancien (de Marivaux), là où dans La belle personne il est la 1ère étape d’une transmission réussie, à l’adresse du spectateur cette fois.

Otto est amoureux fou de Junie ; bien qu’elle aimerait que cette sensation soit réciproque, cette dernière sent qu’elle préfère presque malgré elle Nemours, lui aussi amoureux d’elle mais
dont l’inconstance (il enchaîne les liaisons éphémères) lui fait peur. La principale réappropriation du matériau d’origine opérée par Honoré est d’avoir dilué le drame de ce trio central dans un
geste plus large, un portrait d’ensemble des émois adolescents – le terme est à prendre dans sa signification intime, les personnages de profs (Nemours en tête) étant aussi ados que leurs élèves
dès lors qu’il s’agit d’affronter l’amour. Autour d’Otto, Junie et Nemours, le microcosme du lycée est rempli de trios tragiques semblables au leur, qui se font et se défont au gré des cours -
qui sont autant de scènes hilarantes, remarquablement croquées -, des récréations et des trajets répétitifs et hautement stratégiques (« Je peux t’accompagner jusqu’à chez
toi ? »
) entre la maison et le lycée. Ce que le film perd dans cet éclatement – les acteurs principaux peinent à sortir du lot, la conclusion tombe quelque peu à plat – est très
inférieur à ce qu’il y gagne. Liées les unes aux autres par l’endroit où elles se déroulent, ces histoires d’amour tristes sont autant de réinventions singulières du sentiment amoureux,
auxquelles Honoré applique des variantes de sa mise en scène (toutes sont proches et pourtant chacune est unique) où se bousculent captation du réel à hauteur d’homme et étonnants débordements
lyriques.

Derrière sa modestie de façade, La belle personne recèle donc de précieuses richesses qui la placent au niveau des films précédents (Dans Paris, Les chansons d’amour) de son réalisateur. On y apprend – sans dommage pour le spectateur, contrairement au
destin de Junie – que comme pour la culture, on n’échappe pas à l’amour, sa beauté et sa violence. Un sujet on ne peut plus moderne, puisqu’intemporel et universel que l’on soit élève ou prof,
princesse ou président (et si Junie s’était appelée Cecilia ?).

Les commentaires sont fermés.