• La Belle et la Bête, de Gary Trousdale & Kirk Wise (USA, 1991) et Monster House, de Gil Kenan (USA, 2006)

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Où ?

À la maison, en DVD zone 2

 

Quand ?

Durant le mois de juin

 

Avec qui ?

Seul (oui, des fois je me prends à regarder des dessins animés tout seul)

 

Et alors ?

 

On parle là de deux dessins animés représentatifs de deux décennies. La Belle et la Bête a signé au tournant des années 1990 la renaissance du studio Disney, mettant fin à une
longue traversée du désert et ouvrant la voie à de glorieux successeurs tels Aladdin ou Le Roi Lion. Le documentaire présent sur le DVD détaille la certaine ironie
du sort voulant que ce film doublement important, puisqu’il reste à ce jour le seul dessin animé à avoir été nominé pour l’Oscar du meilleur film, ait été l’aboutissement d’un processus créatif
ardu et chaotique. C’est Walt Disney lui-même qui souhaitait tirer un scénario du conte de Mme Leprince de Beaumont, un projet qu’il n’arrivera jamais à mener à son terme. L’idée refit surface
quarante ans plus tard, et il fallut là encore de nombreux changements majeurs d’orientation et voltes-faces avant d’aboutir à une version finale satisfaisante, équilibrée entre la fidélité au
conte et les exigences d’un récit de cinéma.

L’attente et les difficultés en valaient la peine. La Belle et la Bête compte assurément parmi ce que le studio a su faire de mieux. Le film brille par son époustouflant mélange
des genres, mis en forme avec une fluidité et une cohérence exceptionnelles. On y trouve des numéros chantés et dansés dignes des plus grandes comédies musicales de l’âge d’or du genre ; une
comédie de caractères qui fait penser à du Molière ou du La Fontaine dès qu’entrent en scène les serviteurs de la Bête, maudits avec lui et transformés en objets ; et surtout une incroyable
dureté, au travers du personnage de Gaston le redneck et de ses admirateurs / suiveurs pas plus recommandables. La présentation de cette bande, et l’engrenage qui mène à leurs méfaits
odieux et stupides, donnent l’impression d’être face à l’un de ces grands drames sur la bêtise crasse de la foule – Furie de Fritz Lang, Edward aux mains d’argent
de Tim Burton… La Belle et la Bête navigue avec adresse entre ces deux extrêmes de la nature humaine. D’un côté la pureté et la noblesse du véritable amour, capable de surpasser
les obstacles (le corps difforme et l’âme abîmée de la Bête) et de réunir les énergies et les talents de chacun – les différents habitants/bibelots du château – à la poursuite d’un but
commun ; de l’autre, ces mêmes facultés, s’en tenir à un objectif clair et absolu et se réunir en groupe pour être plus fort, sont exploitées de manière complètement antinomique afin de
mener à bien une ratonnade et de s’attribuer une femme-objet (la Belle, que Gaston considère jusqu’à la démence qu’elle lui revient « de droit »).

La profonde incompatibilité entre ses deux aspirations, et le fait qu’elles sont inévitablement vouées à se entrer en confrontation car arpentant les mêmes territoires, écarte La Belle et
la Bête
du ton Disney habituel. Celui-ci pourrait se définir comme une « comédie tragique » : il y a assurément des embûches à surmonter et des drames à éviter, mais l’ensemble
reste résolument lumineux et serein. La Belle et la Bête tient pour sa part de la « tragédie comique ». On y rit souvent (le duo Big Ben / Lumière est remarquablement
écrit de ce point de vue), mais le film ne peut pour autant échapper à sa finalité incontestablement dramatique. La manière complètement artificielle dont le happy-end contractuel est collé à la
fin du récit, faute de meilleure solution (un peu comme celui de La guerre des mondes de Spielberg), est la preuve éclatante de cette inéluctabilité du drame rôdant autour des
personnages dès leur mise en place.

Du point de vue visuel, La Belle et la Bête est une pure splendeur. Le dessin animé en 2D traditionnelle, trucidé sans autre forme de procès à l’arrivée de la 3D (voir plus bas),
atteint alors à son apogée, et depuis lors il n’y a plus que Miyazaki pour en jouir. Comme un pied de nez aux événements à venir, la séquence la plus incroyable du film n’est pas celle conçue dans une 3D encore
balbutiante (la valse, superbe tout de même), mais le combat final à mort qui oppose Gaston et la Bête sur les toits et corniches du château de ce dernier. Toute cette longue scène est
transcendée par un souffle visuel prodigieux – dans l’utilisation de l’architecture dantesque du château, les conditions climatiques, les contrastes entre la noirceur de la nuit et les incendies
naissant ça et là à cause de la foudre, l’animation des deux corps déformés par l’effort et la rage… et dans cette rage-même, aboutissement de la dureté générale du film dont je parlais plus haut
et absolument unique dans un Disney. Elle nous laisse sans voix. Puis vient le happy-end greffé, mais on encore trop sous le choc pour réellement y prêter attention.

 

Monster house appartient à la deuxième génération après La Belle et la Bête. Il y eut donc tout d’abord l’apparition du rendu en 3D, avec Pixar et son Toy story en fer de lance ; puis il y eut la démocratisation de cette technique, et son amélioration via la motion
capture
. Monster house se trouve au confluent de ces deux phénomènes. L’usage de la motion capture (des acteurs jouent les scènes du film sur une scène presque vide,
comme s’il s’agissait de théâtre, et leurs mouvements sont enregistrés par ordinateur puis utilisés pour définir ceux des personnages virtuels animés) y est remarquable – les suppléments du DVD
permettent de s’en rendre compte. Par contre, la 3D « pour tous », y compris un outsider comme Columbia qui a produit le film, est encore comme on peut le voir ici synonyme de rendu
simpliste, un peu bâclé et pas loin d’être moche comme si faire de la 3D exemptait de chercher à faire beau, soigné.

Heureusement, Monster house compense par ce qui a toujours fait, et fera toujours, les bons films : un bon scénario, et de bonnes idées de mise en scène. Cela saute aux yeux dès
le premier plan(-séquence), qui suit une petite fille à couettes fonçant sur son tricycle tout en chantonnant à tue-tête le thème musical qui joue simultanément sur la bande-son, jusqu’à nous
mener devant la maison du titre. Y vit un vieillard aigri et méchant au dernier degré, M. Nebbercracker, qui confisque catégoriquement – avec en prime une monumentale engueulade – tout ce qui
atterrit sur son jardin, bouteille de bière, ballon, tricycle. Nebbercracker meurt d’une crise cardiaque vers la dixième minute, ce qui n’est que la première embardée d’un scénario-poupées russes
qui n’en finit jamais de surprendre à grands coups de volant.

Le récit de Monster house retarde ainsi au maximum le moment où il se décide à nous plonger pour de bon dans l’enchaînement délirant de péripéties justifiant son double statut de
divertissement pour tous âges et de film réalisé en images de synthèse. La première partie nous maintient dans une incertitude parfaitement maîtrisée, et pourrait tout aussi bien être
l’introduction d’un slasher. De la présentation des
héros sur une tonalité plus légère que ce qui est attendu aux premiers indices et manifestations du monstre qui arrivent au compte-goutte, tout y est. Une fois le wagonnet arrivé au sommet des
montagnes russes et lancé dans la pente, l’inspiration du film ne faiblit heureusement pas. L’aménagement de l’intérieur de la maison comme s’il s’agissait d’un corps humain est une idée superbe
et très bien exploitée, à des fins comiques autant que spectaculaires. Il en est de même pour la métamorphose finale de cette même maison, qui fait pour de bon de Monster house un
petit neveu espiègle et habile des plus efficaces et terrifiants films de monstres horrifiques. Comme ses plus glorieux aînés, il se fend avant l’ultime face-à-face d’un flashback relatant la
genèse du monstre. D’une grande puissance visuelle (un trait épuré au maximum, des scènes qui se recouvrent l’une après l’autre), ce film dans le film fait du méchant le personnage le plus
complexe, et même touchant, entre tous.

Après cela, Monster house peut s’achever avec panache dans un plan-séquence faisant écho à celui d’ouverture, mais en dix fois plus époustouflant. Suivre sans coupe, et au
contraire avec des mouvements de caméra virtuoses, un personnage grimper au sommet d’une grue, se pendre au câble qui est accroché à celle-ci, se balancer à l’extrémité de ce câble et enfin jeter
un bâton de dynamite dans la gueule du monstre : un tel morceau de bravoure ne peut prendre vie qu’en images de synthèse, et on ne peut que se féliciter lorsque celles-ci sont utilisées dans
ce but.

 

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