• Kippour, de Amos Gitaï (Israël, 2000)

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Kippour est un récit subjectif d’une expérience de la guerre du même nom, qui opposa Israël à l’Égypte et la Syrie au mois d’octobre 1973. Mais de guerre, il n’en est tout d’abord
pas question dans le film. Celui-ci s’ouvre sur une scène d’amour physique qui nous submerge par son intimité (elle est filmée au plus près des corps), sa sensualité et sa beauté élégiaque et
irréelle – les plans de corps-à-corps sont intercalés avec d’autres de jets de peinture sur une surface initialement d’un blanc immaculé. Cette double force de vie, venant à la fois du sexe et de
l’art, semble dans un premier temps suffisamment forte pour repousser la guerre annoncée hors du champ du film, et hors du champ de l’expérience du héros. Au cours des 20 premières minutes, ce
dernier et son meilleur ami errent en effet sur les routes de leur pays à la recherche d’un front armé et d’un régiment introuvables. Ils finissent par s’engager, presque par hasard, auprès d’une
unité médicale, dont le rôle est d’évacuer par hélicoptère les soldats blessés.


La fameuse « horreur de la guerre » tombe alors sur les deux héros et leurs acolytes avec une violence et une soudaineté inouïes. Des lieux désolés (les mêmes flancs de collines arides
couverts de broussailles et de cailloux que dans Beaufort, qui traite du conflit suivant au Liban) servent de décor à un chaos indescriptible, tant visuel – explosions, fumées – que sonore,
avec le bruit des hélicoptères et des rafales d’armes automatiques qui couvrent toute possibilité de dialoguer, de parler. Comme cela a été réutilisé depuis par Eastwood dans Mémoires de nos pères, l’affectation des héros les place
dans un rôle équivoque, à la fois participants et témoins. En retrait des briefings et des affrontements de la première ligne, ils n’ont aucun lien direct avec les éventuels motifs moraux ou
politiques du conflit. Seules apparaissent devant leurs yeux les montagnes de morts et de blessés (qui sont autant de morts en sursis) que produisent les batailles successives. Ils ne voient que
les effets, mais jamais les causes.


Forcément, la légitimité de la guerre se perd dans de telles conditions. Amos Gitaï exprime ce fait avec une grande finesse, sans trop en faire, par deux simples échanges entre personnages d’où
ressort le gouffre qui s’est creusé entre les luttes de leurs parents, de 1948 à 1967, qui avaient un sens, et la leur qui semble bien ne rimer à rien. Le propos du cinéaste est bien sûr d’autant
plus marquant que la guerre du Kippour fut la première d’une longue – et toujours en cours – série de guerres israélo-arabes de moins en moins évidentes et mobilisatrices, que des films comme
Beaufort ou Valse avec Bachir
ont dépeintes. Kippour a un autre point commun majeur avec ce second film : tous deux ont leur scénario, en partie autobiographique, construit selon le même principe. Aux flashes
violents et désordonnés de la première moitié succède une longue séquence traumatisante, où le parti-pris formel du cinéaste trouve son aboutissement. Gitaï s’attache à rendre palpable la durée,
prolongée jusqu’à en être dérangeante, des épreuves subies par ses protagonistes par de longs plans-séquences (la tentative prométhéenne de sortir un blessé d’un trou rempli de boue) et cadrages
fixes – comme ce plan stupéfiant où la caméra ne quitte pas l’hélicoptère tandis que les personnages déchargent un blessé, pour immédiatement repartir vers un autre champ de bataille.


C’est justement à bord de cet hélicoptère que Kippour atteint son paroxysme, lorsque celui-ci est lui-même touché par un missile. L’immédiateté de l’impact, l’incrédulité puis
l’impuissance qui s’en suivent sont rendues avec une incroyable sécheresse, qui se perpétue dans le temps alors que les héros traversent tels des zombies la routine militaire dont ils étaient
eux-mêmes un maillon jusqu’à quelques secondes auparavant. Arrivée des secours, auscultation à l’hôpital, renvoi à une vie civile ne sont le siège d’aucune émotion, d’aucune amélioration.
Seulement d’un complet gâchis, qui couvait depuis l’arrivée au front et a implosé d’un seul bloc.

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