• Inland, de Tariq Teguia (Algérie, 2009)

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Où ?

Au Reflet Médicis

 

Quand ?

Vendredi soir

 

Avec qui ?

Seul

 

Et alors ?

 

Inland démontre que Tariq Teguia, autodidacte venu au cinéma sur le tard (à 43 ans il s’agit de son deuxième long-métrage, après Rome plutôt que vous l’an
dernier), est un cinéaste très talentueux, très intelligent, et dans le cas présent très inspiré par son ambitieux sujet. Deux événements de la vie du héros Malek, topographe quadragénaire – une
étude de terrain à reprendre dans un village reculé dans les terres ; puis la rencontre avec une migrante clandestine seule survivante de son groupe – vont faire de son parcours le temps du
film un road-movie à travers l’Algérie. Il serait plus juste de dire à travers les Algéries, tant les paysages géographiques (des villes, des hameaux, le désert) et humains – différents
corps de métier et communautés – traversés changent du tout au tout de l’un à l’autre.

 



Le travail formel est renversant, avec une utilisation des focales et des objectifs qui, couplée à la variété des ambiances rencontrées, donne au film une apparence tour à tour très dépouillée,
dans les rues des villages où les gens survivent, ou bien aussi chimérique qu’un mirage lorsque Inland s’enfonce dans sa dernière partie dans le désert absolu. Teguia parvient de
plus à nous transmettre le sentiment de faire au travers des images du film des rencontres authentiques, tangibles. Cela passe par la manière qu’il a d’intégrer au récit les personnages
secondaires non par ce qu’ils sont censés apporter au scénario, au héros, mais par une observation sincère de leur quotidien. Les exemples sont nombreux, du cabinet pour lequel travaille Malek où
le chef change sans cesse de destinataire à ses propos (Malek, son associé, son assistante) au groupe de bergers croisés en pleine transhumance et aux deux opérateurs d’un puits de pétrole
complètement coupé du monde – soit la scène d’ouverture de There
will be blood
, dans toute sa dureté et son inhumanité, transposée au Sahara. On change à plusieurs reprises de planète dans ce voyage envoûtant, mais également empli d’une
grande tristesse. Ces visages, ces corps que l’on croise, on ne s’arrête jamais réellement à leurs côtés ; car si l’on s’y aventurait, le risque serait grand de se retrouver piégé à tout
jamais comme eux dans un bout du monde qui n’est pas fait pour être habité, mais au mieux traversé. Une étouffante torpeur morbide plane sur Inland, due pour partie au
déséquilibre des forces entre la nature et l’homme dans ces régions désertiques ou semi-désertiques ; et pour une autre part à l’impasse politique et sociale dans laquelle l’Algérie est
aujourd’hui enferrée. Chaque fois qu’un contact (dialogue, plan serré révélant les détails du visage) est établi avec un des individus peuplant ces lieux, c’est toujours la même complainte qui
nourrit les discussions : complainte envers l’absence de perspectives et d’espoirs, envers un pouvoir autoritaire et corrompu.

 



Avec Inland, Teguia marche tête haute sur les traces d’Antonioni (devant le film on pense en particulier à Profession reporter, Zabriskie Point), en mêlant avec succès beauté
contemplative des espaces et fraternité noble envers les êtres affaiblis par les circonstances. Ce délicat tableau est cependant gâché par une certaine arrogance de la part du réalisateur. Devant
Inland, on a en effet fréquemment le sentiment de ne pas être traité d’égal à égal mais d’être toujours à la traîne du film, de son auteur qui galvaude des aspects potentiellement
triviaux du processus de création – huiler les rouages du récit, expliciter la motivation des plans filmés. Ces points jouent qu’on le veuille ou non un rôle dans le partage du film entre auteur
et spectateur (il ne s’agit pas de se dédire pour séduire le spectateur ; simplement de montrer qu’on dialogue avec lui plus qu’on ne le sermonne). Teguia est ainsi capable de donner
l’impression de ne pas se soucier de l’histoire qui soutient son propos – le personnage de la migrante clandestine, propulsée dans le récit alors que celui-ci en est déjà aux deux tiers, et qui
ne développe aucune existence propre – et à d’autres d’attendre de nous que nous ayons toutes les clés sociologiques, politiques permettant une bonne compréhension des enjeux. Le rapport de
supériorité qui s’en suit est irritant quand il devient trop appuyé, et gâte l’immersion dans un film dans lequel on aimerait se perdre entièrement.

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