• Ils sont repartis de Cannes sans rien (2) : Vengeance, de Johnnie To (Hong Kong, 2009)

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Où ?

Au ciné-cité les Halles

 

Quand ?

Mardi soir, à 22h30

 

Avec qui ?

Seul

 

Et alors ?

 

J’avais déjà signalé à l’occasion de la sortie de son film Mad
detective
, il y a un peu plus d’un an, qu’après avoir atteint le summum de son art avec Election et Exilé le défi auquel Johnnie To devait maintenant faire
face était celui du renouvellement, de l’ouverture à de nouveaux horizons, à de nouvelles prises de risques. Mad detective était une première étape dans cette direction,
Vengeance en constitue une deuxième un poil moins brillante mais qui reste dans l’ensemble une réussite. Dans les deux cas, le vent du changement arrive sous les traits d’un
personnage improbable ; c’était le flic voyant des fantômes dans Mad detective, c’est ici un étranger, un « Blanc » (en miroir du « Chinois »
générique dans les pays occidentaux) venu venger la mort de ses petits-enfants. Le « Blanc », c’est Johnny Hallyday, fantôme du Samouraï de Melville – même nom de
famille, Costello, même chapeau, même mutisme -, un cinéaste et un film qui hantent visiblement Johnnie To comme John Woo avant lui.

 

Ce casting a tout d’un joli coup – il a assurément permis à To d’être le seul semi-novice de la sélection cannoise cette année (Election était passé hors compétition), et
d’obtenir pour Vengeance une distribution en France sans commune mesure avec celle de ses précédents films. Mais la présence de Johnny Hallyday au cœur de l’univers du réalisateur
apporte bien plus que ces simples distinctions annexes. Elle fournit à Johnnie To un moyen de poursuivre plus avant son exploration, démarrée avec Exilé, en dehors des frontières
de cet univers qu’il a mis en place ; en dehors de ce cercle infini de luttes entre triades, de contrats, de fusillades urbaines. Si ces éléments sont toujours présents dans
Vengeance, ils apparaissent désormais comme poreux à l’influence du monde extérieur, à la possibilité d’une autre voie. Exilé tâtait déjà ce terrain inconnu, avec
ses scènes de repas joyeux suspendant le temps avant ou après une fusillade décidée par d’autres. Vengeance étire ce qui n’était que des parenthèses, et qui remplit désormais
l’étonnante première moitié du récit. Costello est un étranger ; il ne sait donc pas immédiatement comment contacter des tueurs, puis comment retrouver la trace de ses cibles. De plus,
Costello est français, et chef cuisinier ; les plaisirs de la table lui importent donc presque autant que son désir de vengeance, d’où la préparation pour ses nouveaux associés d’un déjeuner
exquis, fait à partir de mets achetés par sa fille avant le drame et accompagné d’un bon vin.

Cette ambiance de report à plus tard des affrontements, dans lesquels les héros s’engagent avec résignation plutôt qu’un engouement délirant, reste une source de perturbation des codes y compris
une fois que le ballet de coups de feu et de traquenards s’engage. La première des fusillades qui se succèdent en est le meilleur exemple, puisqu’elle renvoie ses participants dos à dos sur tous
les plans : même nombre de tireurs – à un près – dans chaque camp, loin des déséquilibres habituels ; même ancrage dans le monde réel, qui humanise l’ensemble des adversaires (le trio
auquel s’associe Costello intercepte le trio ennemi alors qu’ils se rendent à un pique-nique avec leurs familles) ; même impuissance devant les conditions géographiques – la densité de la
forêt – et météo, lorsque les passages des bancs de nuages devant la Lune enlèvent toute visibilité. La séquence, longue et pleine de renversements de fortune, s’achève sur un match nul – et dans
la scène suivante, on apprend, superbe basculement scénaristique, que les deux trios obéissent en temps normal au même boss.

Une autre trouvaille aussi risquée que payante est celle de l’amnésie qui foudroie Costello avant qu’il ait achevé sa quête de vengeance. Bien que fortement empruntée à Memento, l’idée a le grand mérite de sortir l’histoire
de Vengeance de l’ombre de celle d’Exilé (où l’on retrouve des lieux, des personnages, des situations, des destins tragiques très similaires ; raison pour
laquelle les fans du cinéaste apprécieront peut-être moins ce nouvel opus que le feront des néophytes) et de la faire s’achever dans un dernier acte osant crânement vider de leur sens les enjeux
qui prévalaient jusque là. Jamais encore Johnnie To n’avait osé bousculer de la sorte un de ces scénarios en plein vol ; il peut s’en féliciter, car cette audace mène Vengeance
vers une fin en apothéose. Car quel but peut-on trouver à des représailles accomplies de manière purement mécanique, sans souvenir des raisons qui la motivaient au départ ? C’est là l’état
dans lequel se trouve Costello au moment de se lancer dans l’ultime face-à-face, celui avec l’homme qui a ordonné le carnage de sa famille. Cette scène d’action finale, moins sublime que d’autres
créées par Johnnie To (dans Exilé, ou Sparrow), recèle tout de même son lot de belles idées formelles, telle celle des stickers collés sur les habits de la cible pour la
repérer au milieu de ses hommes de main. Surtout, elle boucle à merveille un récit hautement déceptif et amer, d’une vengeance d’abord initiée à contrecœur ; dont la majorité des victimes
auront été des hommes ni bons ni mauvais mais simplement sur le mauvais contrat au mauvais moment ; et qui se conclut sur une énième tuerie n’impactant nullement son principal protagoniste,
réduit quoiqu’il arrive pour le restant de ses jours à l’état d’enfant rieur et innocent au milieu d’autres enfants. Une fin belle, mais aussi complexe et amorale, cousine de celle de Mad
detective 
: là aussi le héros y faisait le ménage dans un conflit qui n’est plus le sien, avant de se replier dans son univers mental. Comme si Johnnie To cherchait, par personnage
interposé, à se purger de ce monde de gangsters qui a fait sa gloire et qui serait désormais devenu un fardeau.

 

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