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Alors que sort en DVD en France la saison 6 de Lost, dont le final a déclenché tant de passions chez une frange massive du public criant à la trahison (à tort), la rediffusion récente de la série
Le
prisonnier
sur Arte a fourni l’occasion de voir à quoi ressemble un véritable foutage de gueule, dans la catégorie « Conclusion de série télé culte ».

Sur la base de son postulat de départ – le lendemain de se démission des services secrets, un agent britannique se voit kidnappé et interné dans le « Village », où il est réduit à
l’état de numéro (le fameux n°6) comme tous les autres habitants et soumis à des tentatives répétées de la part des gardiens de lui faire avouer les raisons de sa démission –, Le
prisonnier
joue au chat et à la souris avec son public pendant les seize premiers épisodes. Les questions qui comptent, en surface tout du moins, ne trouvent pas le moindre début de
piste de réponse ; les mystères du héros comme ceux de son lieu de détention restent entiers. Pire même, ils glissent progressivement à l’arrière-plan, comme oubliés par les auteurs qui
préfèrent consacrer de plus en plus de temps à deux voies annexes : d’une part, le potentiel pharamineux d’allégories et d’alertes quant à la société réelle (la politique réduite à un
spectacle, la démocratie réduite à un vote manipulé, l’éradication de tout conflit, de toute altérité pour aboutir à une société mortellement homogène) qu’offre le dispositif ; d’autre part,
des épisodes opérant un décalage critique voire même auto-parodique sur les mécanismes et les règles de la série. Cette seconde astuce pour échapper à un cadre devenu carcan et se redonner un peu
d’air frais sera reprise par les X-files trente ans plus tard, et lui donnera ses meilleurs épisodes.

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Le prisonnier pousse tellement loin la digression que dans les trois épisodes précédant le tout dernier, le Village n’apparaît pour ainsi dire plus. Et les secrets qui
obsèdent les spectateurs ont disparu des écrans radar. Il faudrait donc qu’une réponse complète et convaincante leur soit soudainement apportée dans les 50 minutes du final. Patrick McGooohan,
acteur principal mais aussi scénariste et réalisateur de plusieurs épisodes dont ce dernier, ne s’y essaye même pas. La pêche aux informations sur les coulisses de cet épisode lui donne des
circonstances atténuantes (un script à écrire en urgence suite à la décision soudaine de la chaîne d’interrompre la diffusion de la série) et d’autres aggravantes – après avoir évincé en cours de
route l’autre tête pensante derrière Le prisonnier, McGoohan était seul maître à bord. Statut privilégié dont il a profité en écrivant en guise de bouquet final un
mélange d’acte d’accusation et de doigt d’honneur dirigé à l’encontre du public. Sans queue ni tête, illisible, le scénario de l’épisode fait ressusciter des personnages secondaires, incorpore
les spectateurs sous la forme d’un tribunal véhément et inique, raille la demande de savoir qui était le numéro 1 du Village (les deux réponses jetées à l’écran étant : un singe, et n°6
dédoublé), joue « All you need is love » des Beatles à plein tube à plusieurs reprises, lance un missile balistique – recyclé du décor d’un épisode précédent ! – sur le
Village et ne dit rien des conséquences de l’impact, fait s’échapper le héros et ses acolytes revenus d’entre les morts à bord d’un camion dont la remorque fait aussi living-room, depuis lequel
ils jettent des liasses de documents et font des grimaces aux automobilistes. La bouffonnerie est proprement sidérante, et de par son intégrité elle provoque même un certain respect, une fois
passée la réaction épidermique de rejet.

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Au bout de la route, tout ce beau monde atteint Londres et se sépare en souriant. Heureux d’avoir échappé au Village, à la série, au diktat du public – une réalité à laquelle McGooohan a choisi
de répondre par l’outrance plutôt que par la ruse (X-files) et/ou l’authenticité (Lost). Et non sans lancer une ultime pique au spectateur,
pour lui rappeler une dernière fois que son monde au quotidien est le Village tant fantasmé et honni. Pan dans les dents.

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