• Honkytonk man, de Clint Eastwood (USA, 1982)

Je like cet article sur les réseaux sociaux de l'internet!

Où ?
En K7 vidéo (et en VF…), chez moi
Quand ?
Hier soir (en rentrant de la cinémathèque)
Avec qui ?
Ma chérie, qui devait absolument découvrir ce film
Et alors… ?

Honkytonk man est assurément le film le plus mésestimé du grand Clint. Les films de genre de ses débuts (Josey Wales) ont acquis un charme suranné certain, et la dernière partie de sa carrière, depuis Impitoyable, fait pleuvoir sur lui les éloges – mérités, cela va sans dire. Entre les deux, Honkytonk man reste dans l’ombre, à l’époque œuvre d’un metteur en scène qui n’était pas encore un « auteur » (la même année, il réalise l’improbable Firefox, l’arme absolue) et aujourd’hui boudé par les diffuseurs télé. Il faut pourtant réhabiliter le petit soldat Honkytonk man, pour 3 raisons : le pari incroyablement risqué que ce projet représente pour un acteur-réalisateur ; l’engagement politique sincère et essentiel véhiculé par le film ; les torrents de larmes que fait verser le dernier quart d’heure.

Honkytonk man raconte la ballade à travers le Wisconsin et le Tennessee de Red, un chanteur de country alcoolique qui va passer l’audition de la dernière chance à Nashville, et de son neveu tout juste pubère et chargé de veiller à ce qu’il arrive à bon port. En se donnant un rôle aussi haut en couleurs que celui de Red et en se faisant donner la réplique par son fils Kyle dans un film essentiellement basé sur la relation entre les deux personnages, Eastwood risquait de tomber la tête la première dans le narcissisme le plus écœurant et inintéressant qui soit. Perdu : fidèle à sa ligne de conduite masochiste, ce dernier n’accorde aucune prérogative à son personnage et le dépeint honnêtement dans sa splendeur (Red est un grand musicien et chanteur, et chaque passage chanté est filmé avec beaucoup de solennité) comme dans ses travers inexcusables – abus de boisson, refus de l’autorité, mépris envers à peu près l’ensemble de la race humaine et tout particulièrement la gent féminine. En face, le jeune Kyle donne suffisamment bien le change pour rendre crédible et attachant son personnage à mi-chemin entre l’enfance et l’âge adulte, et permet au duo de fonctionner admirablement.

honkytonk2.jpg

L’autre aspect sur lequel le film se montre particulièrement audacieux est le choix de l’époque. En plaçant son histoire pendant la Grande Dépression des années 1930, Eastwood ne marche pas seulement dans les pas de Ford et Steinbeck (il se positionne d’ailleurs clairement une marche en dessous des Raisins de la colère, en traitant son récit de manière picaresque et avec une bonne dose d’humour), il fait clairement preuve de rébellion si l’on se rappelle le contexte dans lequel il tourne Honkytonk man. En 1982, Reagan vient d’être élu et avec lui c’est le rouleau compresseur de l’ultralibéralisme triomphant qui déboule sur les États-Unis. Consacrer un film à la pire période sociale et économique du pays et à tout ce qu’il a compté alors de laissés pour compte désespérés et malmenés (agriculteurs ruinés, noirs ghettoïsés…) ne peut être considéré comme anodin. La conscience sociale du cinéaste, jusqu’ici discrète, éclate pour la première fois au grand jour, et soutient le film jusqu’à cet incroyable dernier quart d’heure dont j’ai parlé au début. La mort de Red s’y transforme en une démonstration magnifique que, si on lui donne sa chance, un homme laisse derrière lui ce qu’il a de meilleur ; et qu’ainsi même un marginal irrécupérable peut contribuer à rendre le monde – un peu – plus supportable. Tout simplement beau à en pleurer, je vous dis.

honkytonk3.jpg

Note : les images de cette chronique sont en noir et blanc, mais le film est en couleurs !

Les commentaires sont fermés.