• Fracture, de Alain Tasma (France, 2010)

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fracture-1Où ?

A la maison, enregistré sur France 2 l’avant-veille (et il est encore disponible sur la VOD France 2)

Quand ?

Jeudi soir

Avec qui ?

MaFemme

Et alors ?

 

Un casting alignant autour des héros adolescents les acteurs reconnus venant d’horizons différents (Anaïs
Demoustier
, Ariane Ascaride, Leïla Bekhti, Laurent Stocker…), un scénario signé Emmanuel Carrère – à partir du roman Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte sorti
en 2006 –, et la solide référence de la fiction tv Alain Tasma (Nuit noire) à la réalisation : France 2 a presque fait les choses en assez grand pour
Fracture. Presque, car il y manque la durée qui aurait permis d’imaginer faire un The wire à la française,
dressant un portrait le plus multiple et sensible possible de la vie dans les quartiers rendus difficiles par l’abandon de l’État. Une telle ambition n’aurait rien eu d’absurde, au vu de la
densité de personnages et de cadres de récit que Fracture possède. Comprimée en 1h45, cette abondance a tendance à se retourner contre le film en le forçant à l’emphase,
à la dramatisation excessive. La première moitié, qui navigue entre les protagonistes et les conflits qu’ils ont chevillés au corps, est une succession de scènes trop fortes, où pour faire passer
le message en un temps minimum la seule solution est de faire crier et déclamer des tirades trop écrites à chacun. C’est évidemment regrettable car cela dessert un propos toujours courageux et
valide dans son contenu.

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Sans fausse note dans ses diagnostics et sans écart dans ses opinions, Fracture aborde tous ses sujets de front, en usant de mots souvent durs et crus. L’impuissance et
le harassement des enseignants dans de telles zones, le manque de moyens des autres services publics (l’hôpital en tête), le déclassement vécu et compris comme une fatalité par les habitants à
demeure de ces quartiers, le lointain conflit israélo-palestinien qui engendre une inimitié à fleur de peau entre juifs et musulmans… Et pour tous, la tentation de la fuite radicale, seule
chose pour laquelle les solutions ne manquent pas – par la démission pour les profs, par la violence physique ou idéologique pour les jeunes habitants. Ce climat de violence s’immisce chez tous,
qui dès lors l’entretiennent presque malgré eux et sans qu’aucun ne puisse être déclaré coupable d’avoir allumé la première mèche. C’est un brasier qui démarre seul, à force de négligence
généralisée. Et qui se cristallise dans le deuxième temps du récit autour du personnage de Lakdar, dont l’on voit le glissement depuis une situation sans histoires à une connerie irréfléchie et
qui va foutre sa vie en l’air.La grande qualité de Fracture est de montrer qu’il n’y a aucune cause intime à la dérive de Lakdar ; il n’avait aucune prédisposition
psychologique ou autre à cela, simplement un environnement délétère et à risques au sein duquel la somme des éléments de conflit ou d’abandon observés dans la première partie peut suffire à mener
au pire.

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Durée oblige, le recentrage sur Lakdar entraîne le délaissement d’autres personnages potentiellement intéressants et réduits à l’état de types représentatifs (le père qui se tue au travail, le
grand frère tenté par le jihad). Mais il est très pertinent dans sa manière de montrer que les habitants de ces lieux sont essentiellement livrés à eux-mêmes – tous les représentants du lien
social que sont les profs, les médecins, les policiers ne sont que de passage dans leurs vies, limités au service minimum. D’un point de vue dramatique, ce changement d’orientation amène Emmanuel
Carrère sur un terrain où on le sait très doué, celui de la fragilité humaine. Lakdar, comme avant lui les antihéros de L’adversaire et de La
moustache
, doit faire face à l’effondrement de son monde. Il s’y prend très mal, et ne parvient qu’à empirer les choses, un comportement que Carrère observe non avec dégoût mais
avec tristesse. Il ne fait pas de Lakdar un mouton galeux mais un aperçu de l’effondrement qui pourrait arriver à n’importe qui dans de telles circonstances.

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