• Femmes du Caire, de Yousry Nasrallah (Égypte, 2009)

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caire-2Où ?

Au MK2 Beaubourg

Quand ?

Vendredi après-midi, en profitant du pont de l’Ascension

Avec qui ?

Mon amie cinéphile

Et alors ?

 

Bien plus explicite que son passeport passe-partout pour les salles françaises, le titre original « Raconte, Shéhérazade » fixe les intentions du film et le canevas sur lequel
elles s’expriment. Femmes du Caire s’empare de la légende de cette figure mythique de la culture du monde arabe, et la porte dans le contexte actuel d’un des pays phares
de ce monde. Le mode de transmission des contes au plus grand nombre est désormais la télévision, Shéhérazade est réincarnée en Hebba, présentatrice d’un talk show à succès, et les ors de la cour
royale sont les faveurs matérielles et autres postes honorifiques pour lesquels on se bouscule et on intrigue au sein de la haute aristocratie cairote (ou du gratin de cairotes). Le réalisateur Yousry Nasrallah et son scénariste Wahid Hamid ont
l’ambition de prendre le contrepied du folklore anesthésiant. Ils enfoncent le clou par la nature des sujets abordés, allant du plaisir sexuel aux femmes battues et à l’avortement, et par
l’ancrage de leur développement dans la réalité actuelle – le nom et l’image d’Hosni Moubarak, l’indéboulonnable et autocratique président, apparaissent explicitement à plusieurs reprises. De la
même manière que dans le film Lola, sorti par hasard le même jour en salles, on a devant Femmes du Caire le sentiment indiscutable
d’être instruit de la vérité sociale d’un pays et des maux qui le rongent. C’étaient l’argent et la cupidité dans les Philippines, ce sont en Égypte le clientélisme et la raideur religieuse
employée à des fins d’asservissement.

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Un autre écueil évité par Femmes du Caire est celui de la routine lassante que peut entraîner le procédé du film à sketches. Les témoignages des femmes invitées dans
l’émission de Hebba qui forment les contes successifs présentent tous les ruptures de structure (récit à tiroirs qui empile les changements de point de vue dans le premier, flashback qui précède
pour une fois les scènes sur le plateau de télévision dans le troisième) ou de ton – le brusque passage du vaudeville à la tragédie violente dans la deuxième histoire – qui les rendent uniques.
Ces variations confèrent au film pris dans son ensemble une progression, et avec cela un suspense quant au point d’arrivée. Celui-ci sera atteint au moyen d’un ultime renversement admirable, qui
fait de Hebba elle-même une héroïne de conte tragique. Le personnage autant que son histoire s’en trouvent rehaussés : elle n’est plus la représentante distante, voire opportuniste, de ses
invitées opprimées mais leur égale et leur porte-parole naturelle ; et les scènes de sa vie exposées en pointillés au fil du film n’étaient pas d’artificielles transitions entre les
différents chapitres, mais les fragments d’un récit en soi fort et poignant.

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Femmes du Caire n’est pas seulement très bien écrit, il est aussi très bien réalisé. Ses personnages prennent corps grâce à l’image autant que grâce au verbe, à
l’intérieur de visions superbes et frappantes – le cauchemar initial de Hebba et la réaction qu’il provoque chez elle, son trajet en métro entouré de femmes violées (alors qu’elle-même ne l’est
pas, et est au contraire parfaitement maquillée, vêtue d’un tailleur haut de gamme et juchée sur des talons). Le regard porté sur les lieux de vie des protagonistes est également très
cinématographique. Ils ne sont pas bêtement affichés, subis, mais au contraire interprétés voire détournés de leur fonction par la mise en scène. Toutes les richesses ostentatoires de la première
partie, présentation de Hebba et premier conte inclus, sont ainsi surexposées par la photographie rutilante et montrées pour ce qu’elles sont – de la pure poudre aux yeux. L’exemple le plus
radical est le magasin de maquillage, rendu absolument irréel. Par la suite, à mesure que le scénario s’enfonce dans le drame, la lumière accompagne cette évolution en se faisant plus crue et
dépouillée. Elle radiographie plutôt qu’elle ne magnifie, tout comme les autres armes dans l’arsenal de cette Shéhérazade moderne.

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