• Draquila, de Sabina Guzzanti (Italie, 2010)

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draquila-3Où ?

Au MK2 Beaubourg

Quand ?

Dimanche soir, à 22h

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

 

La démocratie est fragile, et comme pour beaucoup de choses dans cet état on ne s’en rend compte que lorsqu’elle est brisée – chez soi ou chez le voisin. La France n’est pas encore détruite dans
sa vie politique comme peut l’être l’Italie ; et Draquila doit dès lors être pris comme l’occasion d’une prise de conscience salutaire avant qu’il ne soit trop tard. Le
film de Sabina Guzzanti part du tremblement de terre qui a ravagé la ville médiévale de L’Aquila et tué 308 personnes le 6 avril 2009, pour étayer la thèse affirmant que Berlusconi et sa clique
cherchent à faire du pays qu’ils gouvernent une affaire à but exclusivement lucratif, et à réduire ses citoyens au rôle de figurants maintenus dans l’ignorance et l’impuissance.

 

On ne connait que trop bien la réponse à ce genre d’accusation de ceux qui en sont la cible : qu’elle n’est qu’une fable paranoïaque ridicule et outrancière. Mais certains faits sont
difficiles à balayer d’un méprisant revers de la main. Le déplacement empressé et non concerté des victimes du séisme hors du centre de L’Aquila, transformé en zone interdite d’accès et où aucun
effort de reconstruction n’a été engagé, en direction d’habitations nouvelles sorties de terre au milieu de nulle part à plusieurs kilomètres de là, est un de ces faits problématiques. Guzzanti
l’expose d’entrée, via une séquence introductive qui prend la forme d’une visite clandestine dans les rues désertes de L’Aquila. Elle ne s’en sert pas de suite, lui préférant une stratégie plus
prévisible et triviale d’attaque frontale de Berlusconi. Seulement voilà, comme ses semblables populistes ici et ailleurs, ce général ennemi honni ne se maintient pas au sommet par hasard. Les
piques de la cinéaste dénonçant ses manœuvres les plus voyantes – mainmise sur les médias, maîtrise totale de son image, sens de la formule à même de lui valoir la sympathie immédiate des gens –
sont inefficaces. Elles donnent au contraire de Guzzanti l’image d’un moustique qui s’acharne à se cogner contre une lampe sans avoir la moindre incidence sur celle-ci. Le phénomène atteint son
paroxysme quand apparaît à l’écran une femme disant à propos des scandales sexuels dans lesquels le Président du Conseil italien est impliqué « Mieux vaut qu’il aime les jeunes femmes
plutôt qu’il soit gay »
. La réplique a de toute évidence été conservée au montage par Guzzanti dans le but de montrer la bêtise courante sur laquelle surfe Berlusconi… mais elle a
tout dernièrement été reprise à son compte par ce dernier, et intégrée à sa défense dans une nouvelle affaire de fesses de mineure.

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L’homme est à l’affût de toute ouverture, capable de tout retourner à son avantage médiatique, et donc pratiquement invincible en face-à-face. Heureusement Guzzanti le comprend avant qu’il ne
soit trop tard, et réoriente la deuxième partie de Draquila vers un angle d’offensive oblique, de débordement. Les défauts de forme du film (montage tassé, saynètes
comiques animées superflues, plans de coupe lors des interviews sur Guzzanti qui se prend un peu pour Julia Roberts dans L’affaire Pélican) sont toujours là, mais il
gênent beaucoup moins dès lors que le combat de fond se densifie et s’équilibre. L’enquêtrice concentre ses efforts sur les zones d’ombre de l’entourage de Berlusconi, d’hier – la mafia, source
de financement de ses premières affaires selon le témoignage du fils d’un capo décédé – et surtout d’aujourd’hui. On revient à L’Aquila dans les pas de Guido Bertolaso, fidèle du
Président du Conseil et directeur de la Protection Civile – organisme qui derrière son nom avenant forme un État de fait et totalitaire au milieu de l’État de droit légitime qu’est en théorie
l’Italie. Par une succession de modifications presque indécelables apportées à différents décrets officiels, Berlusconi a fait de la Protection Civile l’autorité responsable de tous les
« grands événements » intervenant dans le pays. Ce statut étant lui-même fixé par décret (dans les faits, cela va des catastrophes naturelles aux déplacements du Pape et aux
manifestations sportives), et la Protection Civile n’ayant une fois en charge aucune limite à son budget et aucun compte à rendre à qui que ce soit, on comprend rapidement la dérive
antidémocratique et affairiste où cela mène.

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De par l’ampleur du traumatisme et du désastre qu’il a provoqué, l’exemple de L’Aquila et du relogement de ses habitants est parfait pour démontrer comment de telles manœuvres politiciennes
obscures et procédurières affectent concrètement la vie des populations : déni des représentants élus (exclus de toutes les décisions concernant leur ville), réalisation de profits massifs (les
nouvelles habitations sont grandement surfacturées) par un tout petit nombre d’individus, et bouleversement contre leur gré des modes de vie des sinistrés, transférés d’un tissu urbain dans
lequel habitations et commerces étaient entremêlés à une zone uniquement résidentielle, loin de tout hormis du centre commercial. Parce qu’il expose tout cela, Draquila
est un film citoyen indispensable, qui ajoute une nouvelle illustration de La stratégie du choc théorisée et dénoncée par Naomi Klein à l’échelle d’une plus petite communauté cette fois.
Enfin, pour le moment : les dernières minutes du film racontent la tentative avortée de transformer la Protection Civile en une société privée. Là, le concept de privatisation d’un État tout
entier au bénéfice de quelques uns aurait rarement aussi bien porté son nom. C’est la réalisation d’écoutes téléphoniques, fuitées par la presse, qui ont fait achopper le projet. Grâce à Sabrina
Guzzanti, on comprend mieux pourquoi Berlusconi a mis une telle hargne à imposer par la loi (son arme favorite pour protéger ses arrières) l’interdiction pure et simple de publication de telles
écoutes par la presse…

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