• (Dernier) rattrapage de 2008 : The spirit, de Frank Miller (USA, 2008)

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Où ?

A l’Orient-Express (il était temps)

Quand ?

Dimanche

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

Il aura donc fallu à peine quatre ans à Frank Miller pour passer de plus grand contempteur vivant du traitement infligé par Hollywood aux adaptations des œuvres d’autrui (en premier lieu les
siennes), à salarié de cette même machine pour porter à l’écran le comic book d’un autre – The spirit, de Will Eisner. Ce retournement, qui peut prêter à sourire, fait suite à
l’expérience vécue par Miller sur Sin city, où Robert Rodriguez le bombarda co-réalisateur et ne prit aucune décision sans obtenir son aval. Ironiquement, c’était là le principal
défaut du film pour quiconque a lu les comics de Miller : difficile de trouver une valeur ajoutée au fait d’être passé au grand écran.


La double présence de Miller et du style graphique inventé par Rodriguez (tout numérique, noir et blanc ultra contrasté et parsemé de rares taches de couleurs qui n’en étaient que plus
saillantes) pour Sin city place inévitablement The spirit dans les traces de ce dernier. Pour le meilleur et pour le pire, Miller parvient cependant à se forger
une identité propre, ce qui est déjà un accomplissement en soi. Le « pire » tient en l’exposition implacable de ce qui sépare encore le néo-réalisateur d’une pleine maîtrise du septième
art. Trahi par son enthousiasme qui le fait traiter trop de personnages et de situations par rapport à ce que le film peut assimiler, Miller emploie comme chausse-pied une technique directement
dérivée de sa longue expérience dans les comics. Mais ce qui passe comme accumulation de bulles explicatives écrites – en partie car on peut les lire en diagonale – est beaucoup moins
digeste sous la forme de longs tunnels de dialogues déclamés par les protagonistes. Miller n’ayant pas la maîtrise des techniques cinématographiques permettant de mieux faire passer la pilule
(astuces dynamisant le montage, les cadrages), on s’ennuie plus qu’à son tour devant The spirit.


Heureusement, le film est traversé à intervalles réguliers de jaillissements soudains de génie, baroques, déviants, jubilatoires. Miller tombe parfois dans la gadgétisation de son concept formel
– des plans de coupe en ombres chinoises totalement gratuits, entre autres – mais dans l’ensemble il en fait une utilisation bien plus inspirée que Rodriguez dans Sin city.
Mettant en application ce que le héros dit dans son monologue d’ouverture et de clôture du récit, Miller fait vibrer la ville imaginaire où se déroule l’action. Par des jeux d’explosion des
couleurs ou de brouillage des perspectives (rien de tel qu’un homme de graphisme pour tirer le meilleur parti d’un outil graphique), il la rend multiple et protéiforme, séductrice ou dangereuse,
suffocante ou électrisante selon les lieux traversés. Les mêmes qualificatifs valent pour les personnages féminins du récit. Eva Mendes et Scarlett Johansson sont érigées au rang de fantasmes
majuscules par les attributs de surface – costumes, maquillage – et psychologiques (impérieuses, malicieuses, spirituelles) dont elles se voient gratifiées. En particulier, le duo
comico-génético-néonazi que Scarlett Johansson forme avec Samuel L. Jackson, grand méchant mégalo du film, vaut à lui seul le détour. Dans leurs scènes (celle du spectacle hitlérien tout
spécialement), Miller le graphiste déjanté, Miller le dialoguiste pince-sans-rire et Miller le directeur d’acteurs inspiré tirent dans le même sens, insufflant alors à The spirit
une folie dont l’on aurait aimé qu’elle se propage plus loin encore.


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