• Dans Paris, de Christophe Honoré (France, 2006)

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Où ?

A la maison, en DVD zone 2 acheté pendant les soldes à la Fnac

Quand ?

Mardi soir

Avec qui ?

Ma femme

Et alors ?

Il est rare qu’un unique film porte en lui le témoignage de la mutation profonde de l’œuvre d’un réalisateur. Tel est le statut de Dans Paris, qui démarre dans les dispositions
qui enserraient la première vie de cinéaste de Christophe Honoré avant de s’en détourner vigoureusement à mi-parcours pour poser les nouvelles règles du jeu, celles des Chansons d’amour et de La belle personne. Que le point de basculement du film
coïncide avec l’irruption dans son récit du personnage interprété par Louis Garrel, acteur fétiche d’Honoré, ne tient assurément pas du hasard. Il personnifie le grain de folie, l’enveloppe d’une
séduction désinvolte et décalée qui constituent le contrepoint parfait et indispensable au sillon grave et émaillé de tragédies que les films d’Honoré creusent l’un après l’autre.


L’opposition caricaturale entre Paris et la province, ou en tout cas entre ce qu’Honoré montre de l’un et de l’autre, constitue une bonne manière de symboliser les divisions du film. Dans la
première demi-heure, le récit de la descente aux enfers sentimentale du couple Paul (Romain Duris) – Anna (Joanna Preiss), de désamour en jalousie maladive, est terne, monocorde et déplaisant
comme pouvaient l’être les premiers films du réalisateur. Dans Paris s’enferme et se ratatine sur lui-même autour de ce drame accablant, de la même manière que les deux
personnages sont allés se cloîtrer dans une campagne reculée et morne, faite de grandes maisons isolées, de parkings moroses et de gares à un seul quai plantées au milieu des champs. Le retour de
Paul dans la capitale, réfugié dans l’appartement où vivent son père Mirko (Guy Marchand) et son petit frère Jonathan pour y traverser sa dépression nerveuse, est un salutaire coup de pied dans
cette fourmilière atone. Avec un récit concentré en vingt-quatre heures, et bâti sur trois fois rien – un appartement exigu, la période de Noël, quelques lieux iconiques de Paris, un téléphone
portable -, Honoré nous mène sans prévenir jusqu’à une représentation particulièrement touchante et spontanée des relations qui unissent ou éloignent les membres d’une famille.


Dans Paris est un film éminemment masculin ; les femmes y sont cantonnées au rôle d’objets de désir, au fort pouvoir sensuel et érotique (elles sont toutes belles et
désirables) mais toujours embarrassantes sur le long terme. Mirko est divorcé de la mère de Paul et Jonathan, l’ex de ce dernier se montre particulièrement blessante lors de leurs retrouvailles
fortuites, et Paul est dans l’état que l’on sait. Même si l’amour est finalement réhabilité, avec deux de ces trois couples partis pour se remettre ensemble, ce qui attire surtout l’attention
d’Honoré sont les liens intimes père – fils et entre frères. Le premier est principalement conflictuel, le décalage entre les générations étant un mur trop massif pour être contourné autrement
que par la dérobade – les petites piques verbales comiques ou ironiques – ou l’assaut frontal, ce dont personne n’a envie. Le réalisateur souligne à raison dans l’interview qu’il donne dans les
suppléments du DVD que cette distance entre parents et enfants s’est enrichie au moment du tournage du grand écart existant naturellement entre les jeux d’acteurs de Guy Marchand d’un côté et de
Louis Garrel et Romain Duris, plus explosifs, plus imprévus, de l’autre. Le simple fait de dire leurs répliques chacun selon la manière qui lui semble instinctive suffit à installer à l’écran ce
rapport filial complexe, fait d’amour véritable en profondeur et d’incommunicabilité de surface.


La relation entre les deux frères dispose elle aussi d’un traitement de premier ordre. Bien que Paul et Jonathan ne soient presque jamais physiquement ensemble, la proximité de leurs actes (la
tentative de suicide de Paul reproduite par Jonathan, par exemple) et de leurs réflexions rend crédible l’existence d’un lien de collusion transcendant entre eux deux, plus fort que ce qu’aucune
autre personne ne pourra jamais bâtir avec l’un ou l’autre. Au bout de cette route empruntée par Dans Paris, la scène finale réunissant enfin les deux hommes accède à une vraie
grâce sans avoir pour cela à fournir d’efforts excessifs et criards. Rares sont les films qui parviennent de si belle manière à décrire un amour aussi fort que naturellement dénué de tout désir.
Et que de chemin parcouru par rapport au début du film !

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