• Cycle Palmes d’or : Taxi driver, de Martin Scorsese

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Quelle année ?
1976

Quoi de spécial ?
Alors que le Festival de Cannes fonctionne souvent selon une prime à l’ancienneté pour décerner la Palme, le phénomène semble inversé pour les réalisateurs américains, régulièrement récompensés
très tôt dans leur carrière : Steven Soderbergh et Robert Altman dès leur 1er film (Sexe, mensonges et vidéo en 1989, MASH en 1970), Quentin Tarantino à son 2è (Pulp fiction, 1994), Jerry Schatzberg pour son 3è
(L’épouvantail, 1973), Coppola à son 4è (Conversation secrète, 1974)… et Scorsese à son 5è long-métrage en 1976.

Et alors ?

Taxi driver ne commence pas comme un film de Martin Scorsese. Là où le cinéaste lance le plus souvent ses longs-métrages par un tourbillon explosif de violence, de colère et de
rock mêlés, les premières scènes sont ici enveloppées dans une mise en scène ouatée, sereine, où les personnages sont enveloppés à la fois par les lueurs nocturnes colorées de New York et par le
morceau tout en douceur – mais au titre éminemment ironique – Late for the sky de Jackson Browne.

Lorsque les choses commenceront à mal tourner, cette chanson sera surclassée par une partition autrement plus menaçante signée Bernard Herrmann. Taxi driver raconte une descente
aux enfers dénuée de tout romantisme, mais zigzagante et au final insignifiante. Vétéran du Vietnam rentré insomniaque et solitaire, Travis Bickle (Robert De Niro, déphasé à l’extrême) décide de
faire le taxi la nuit. Construites de façon très réfléchie et carrée, les 110 minutes du film montrent ce dernier tenter à 2 reprises sa chance dans le monde diurne puis dans le monde
nocturne : d’abord pour s’y intégrer, puis pour venger son échec par la destruction et le meurtre. Dans les 2 cas, l’intégration passe aux yeux de Travis par la séduction – maladroite
jusqu’au malaise – d’une femme (Betsy – Cybill Shepherd puis Iris – Jodie Foster), et la destruction par l’assassinat du chef de cette dernière. Le sénateur pour lequel travaille Betsy s’avèrera
une cible bien au-dessus des talents médiocres de Travis ; le mac qui exploite Iris sera plus dans ses cordes.

Les éléments qui forment la toile de fond de Taxi driver n’ont a priori rien d’anodin : la guerre du Vietnam, une élection présidentielle (pour la partie diurne) et la
prostitution (pour la partie nocturne). Mais en adoptant le point de vue de Travis, qui traverse ces événements et les questionnements moraux qu’ils génèrent sans rien en comprendre, Scorsese et
son scénariste Paul Schrader brouillent l’importance de ces aspects politiques. Ce flou qui entoure Travis se prolonge dans la mise en scène : via, comme j’ai déjà pu l’écrire, l’utilisation
de sources musicales antinomiques qui se chevauchent de manière chaotique (Late for the sky, Herrmann, plus de nombreux bruitages réalistes de la ville qui contribuent à saturer
l’espace sonore) ; via aussi la lente métamorphose de l’ambiance visuelle initiale vers quelque chose d’oppressant et claustrophobe. Les lumières de la ville tendent ostensiblement vers un rouge
incandescent irréel et infernal, tandis que la caméra de Scorsese enferme de plus en plus Travis dans son taxi (ou dans sa chambre le jour), à l’écart du monde extérieur.

Taxi driver est le récit de cet homme, de son échec à interagir avec ses semblables par d’autres moyens que selon des pulsions animales – l’unique critique éventuelle, en creux,
de la politique américaine pourrait se trouver là, dans ce broyage de la conscience d’un homme. Si Scorsese évite le piège de la condescendance suspecte envers les actes de son personnage grâce
au parti-pris de plaquer son regard sur celui de Travis, le comportement extrême et l’inhumanité de ce dernier nous le rendent foncièrement étranger et empêchent tout sentiment à son égard, qu’il
s’agisse d’empathie, de dégoût ou autre. Le climax du film que représente la vendetta de Travis pour sauver Iris semble d’ailleurs in fine nous pousser dans cette voie. Pour la
1ère fois du film, Scorsese y propose une amorce de point de vue externe sur l’action. L’attitude de sa caméra vis-à-vis de la violence qu’elle capte est à la fois extrêmement distante (beaucoup
de plans lointains, en plongée) et réfléchie : les multiples ralentis, et le remarquable plan final de sortie et d’éloignement de l’immeuble offrent non seulement une observation de la
séquence mais aussi un début d’analyse.

En définitive, Taxi driver est une œuvre énigmatique, irréductible jusque dans son épilogue équivoque (rêve ? ironie mordante ? le générique doit être vu jusqu’à son
terme en tout cas), que l’on suit avec une évidente déférence envers le talent du réalisateur et de son acteur principal, mais sans pour autant ressentir une implication complète. Quant au pari
de Scorsese d’un portrait de personnage antipathique construit à partir d’une mise en scène ultra-subjective et d’une performance dantesque de De Niro, il fonctionnera réellement au 2è
essai : Raging bull, le chef-d’œuvre des 2 hommes.

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