• Chasing Amy, de Kevin Smith (USA, 1997)

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Où ?

A la maison, en DVD zone 1 (Criterion) acheté au Virgin Megastore de Times Square, qui bradait tous les rayons avant fermeture

 

Quand ?

Dimanche matin

 

Avec qui ?

Ma femme

 

Et alors ?

 

La grande famille de Judd Apatow qui règne aujourd’hui sur
Hollywood (ou à tout le moins sur une sympathique petite parcelle) n’est pas la première à avoir eu l’idée de faire du cinéma entre potes, en racontant leurs histoires quotidiennes de potes, et
en tournant sur les lieux où ils vivent entre potes. Dans les années 90, l’auteur-réalisateur Kevin Smith a fait sensation avec cette même idée mise en scène dans le culte Clerks,
suite de saynètes aussi évanescentes qu’attachantes entre employés d’une mini-supérette (pour n’en citer qu’une, celle sur les « thirty-seven blowjobs. In a row » a fait
pleurer de rire votre serviteur pendant plusieurs minutes). Il a malheureusement raté la marche du grand public avec Dogma, laissant certains de ses potes inconnus de l’époque
ayant débuté dans ses films, tels Ben Affleck ou Matt Damon, devenir de superstars sans lui. Smith végète depuis entre des projets moins inspirés – l’autoréférentiel Jay and Silent Bob
strike back
, la suite Clerks 2 – et des réécritures en sous-main de scripts de films de super-héros. Aussi longtemps que la mode actuelle durera, Smith sera à l’abri du
besoin tant il est calé sur le sujet.

 



Reste donc Chasing Amy, son meilleur film à ce jour, disponible qui plus est en Criterion par la grâce des fusions-acquisitions
hollywoodiennes ; le producteur Miramax appartient à Disney, qui possède également le prestigieux éditeur DVD… Chasing Amy est un Roméo & Juliette tout ce qu’il y a de
plus contemporain, puisque situé dans une anonyme ville endormie de la banlieue new-yorkaise, et installant de chaque côté de l’amour impossible un garçon hétéro (Holden, Ben Affleck) et une
fille homo (Alysson, Joey Lauren Adams). Tout chez Kevin Smith tend à le cataloguer du côté du premier ; c’est précisément la conscience par Smith de ce présupposé qui rend Chasing
Amy
si réussi. Il donne le plus souvent l’avantage à l’élément perturbateur Alysson, afin de forcer les personnages masculins à réagir en dehors du cadre rassurant de leur petite vie
bien calibrée – avec leurs comic books, leurs jeux vidéo, leurs blagues « viriles », leurs plans drague foireux, etc. Le ping-pong verbal, jeu favori et domaine d’excellence de Smith,
prend ainsi une consistance dramatique remarquable, qui gagne en importance et en profondeur à mesure que le film avance.

 

D’abord comique (la fausse altercation raciale à la convention de comics), puis vacillant, le film bascule pour de bon dans la tragédie romantique une fois que Holden et Alysson ont sauté dans le
vide en s’avouant leur passion – dans une scène mémorable qui réussit la gageure d’insuffler une vie nouvelle dans le cliché de la déclaration d’amour sous une pluie battante. Les décors autour
du trio central, où s’intègre Banky – Jason Lee -, meilleur ami de Holden et principal représentant du « clan des mecs », restent invariablement les mêmes, toujours aussi communs :
immeuble, magasin de disques, parc défraîchi, patinoire de hockey. Mais les sentiments qui grandissent en eux (schématiquement, s’affirmer en tant qu’individu en dépit des conventions ou se
fondre anonymement et sans heurts dans la masse) sont de plus en plus intenses et contradictoires, et se dérobent aux réponses toutes faites. Par rapport à la référence initiale à Roméo &
Juliette, Chasing Amy en est une variante à échelle humaine : le péril n’y est pas extérieur aux héros, mais introspectif. Avec ses personnages en proie à la plus grande
confusion des genres et des sentiments, sa banalité ambiante et sa mise en scène à fleur de peau, c’est un peu de la Nouvelle Vague que Smith transpose dans son New Jersey natal.

 



Au bout du compte, c’est Alysson qui, en restant sincère envers elle-même et sa philosophie de vie, gardera le beau rôle face aux revirements et aux emportements des mecs. Et Smith a donc su être
jusqu’au bout à la hauteur de sa courageuse aspiration de départ. Pour s’en récompenser, lui et ses potes de sexe masculin lancent un raid en bonne et due forme sur le DVD Criterion. Ils ne se
contentent pas du traditionnel – et très plaisant, les piques et anecdotes fusant de part en part – commentaire audio, et de la demi-heure de scènes coupées (à retenir surtout, l’ouverture
alternative du film, avec cette idée géniale d’un type assez riche pour pouvoir casser une fenêtre avec une poubelle à laquelle est attaché le chèque pour le remboursement) ; ils y ajoutent des
introductions, et des débriefings, et des adresses au spectateur durant les menus, et des bruitages de cartoons. Tout cela donne une édition comme on rêve d’en voir à chaque fois – pour les films
qui en valent la peine.

 



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