• Burn after reading, de Joel & Ethan Coen (USA, 2008)

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Où ?

Au Max Linder, où je retourne enfin après une programmation qui, disons, ne correspondait pas exactement à mes inclinations personnelles – Wall-E, Vicky Cristina Barcelona, Quantum of solace

Quand ?

Mercredi, soir de la sortie

Avec qui ?

Ma femme

Et alors ?


Osons une ouverture aussi alambiquée
qu’un générique de David Fincher : Burn after
reading
est le type de film que les frères Coen cherchaient précisément à ne pas faire lors de leur traversée du désert du début des
années 2000. Comme d’autres avant eux (Scorsese, Coppola entre autres), les Coen se sont en effet lancés à un stade de leur carrière dans la tâche prométhéenne de toujours se renouveler et de ne
plus jamais refaire deux fois le même film. Entre projets douteux – Ladykillers, le désolant Intolérable cruauté – et un long silence de 3 ans, la période séparant
The barber de No country for old
men
n’a pas exactement prouvé le bien-fondé de cette velléité.

Avec Burn after reading, les Coen reviennent donc sur leurs pas, vers des territoires familiers – ceux de la bêtise humaine dans ce qu’elle a de plus crasse, et des ramifications
aussi alambiquées qu’improductives de tout système hiérarchisé. Burn after reading est un mélange de Fargo et de Miller’s crossing à Washington, demeure de la plus importante
(soit la plus inconséquente, selon la logique des Coen) bureaucratie au monde, j’ai nommé l’administration fédérale américaine. La moitié des personnages du film sont des espions ou d’ex-espions,
qui continuent à orbiter autour de ce monde. L’autre moitié appartient à une autre structure hiérarchique, autrement plus insignifiante : le club de gym Hardbodies, chargé de tous les
clichés liés à ce type d’endroit (mais ne le sont-ils pas tous ?). L’interpénétration de ces deux univers, au double prétexte d’un CD de données égaré auquel chacun donne une importance
différente et de coucheries extra-conjugales, va déclencher un enchaînement de catastrophes dont l’absurdité et la gravité vont crescendo.


Au meilleur de leur verve, et donc de leur misanthropie, les Coen font de leurs personnages des abrutis profonds et immatures (le terme anglais « morons » est idéalement
adapté) qui tous croient sincèrement en l’importance et en la pertinence de leurs actions. Les espions sont paranos et n’ont aucun contrôle sur le monde ou même sur leur vie, les employés de chez
Hardbodies sont obsédés par une unique préoccupation, l’apparence physique. Selon un autre axe, les hommes sont des lâches et les femmes des mégères cupides et perfides. Il s’agit donc
de personnages tragiques – on rit d’ailleurs peu pendant la première demi-heure, le temps que le récit se mette en place -, le rire ne venant recouvrir cette tragédie que par des moyens
cosmétiques. Burn after reading comporte pour cela son lot de répliques hilarantes savamment distillées, et des performances d’acteurs remarquables de bêtise surjouée ; George
Clooney, Brad Pitt, John Malkovich, Frances McDormand, Tilda Swinton se sont offerts tout entiers à ce jeu de massacre, allant jusqu’à s’enlaidir volontairement à coups d’accoutrements et de
looks improbables.


Le monde dans lequel ces clowns malgré eux évoluent est par contre tout ce qu’il y a de plus sérieux. Le générique d’ouverture, qui reproduit avec le plus grand sérieux un des codes classiques du
film d’espionnage (une vue satellite de la Terre), donne le ton ; par la suite, la lumière d’Emmanuel Lubezki, la musique de Carter Burwell – des noms que l’on n’associe habituellement pas au
genre comique – et la mise en scène très dépouillée choisie par les Coen maintiennent le cap. On finit par rire beaucoup devant Burn after reading, mais d’un rire jaune, d’autant
plus que les deux frères ne s’attaquent plus à un monde en vase clos (la ville paumée du Minnesota de Fargo, la mafia des années 1920 de Miller’s crossing) mais à
notre monde, celui des iPod, du culte de l’apparence, de la drague sur Internet et des théories du complot galopantes. Les Coen mettent en œuvre des recettes éprouvées (ce qui fait de Burn
after reading
un film légèrement mineur) au service d’un regard plus résigné, dans la lignée de No country for old men (dans les deux cas, le film ne débouche sur rien).
Et ce qui en résulte est en définitive à l’image de sa tagline « L’intelligence est relative » : derrière le bon mot, une vérité aigre et cassante.


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