• Barry Lyndon, de Stanley Kubrick (Angleterre, 1975)

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Où ?
Au Max Linder, où le film bénéficiait d’une ressortie en copie neuve

 


Quand ?

Hier soir, pour ce qui était la dernière séance au Max Linder (qui passe désormais Serpico, en attendant Sweeney Todd, le nouveau Tim Burton). Mais Barry Lyndon est très aisément
trouvable en DVD

 


Avec qui ?

Ma femme, et une assistance plus fournie que ce que j’aurais cru. Comme quoi la programmation décalée et intelligente de cette salle fonctionne.

 


Et alors ?

 

J’avais déjà vu Barry Lyndon une fois, il y a plusieurs années, et je n’avais pas souvenir d’un tel bloc de pure méchanceté, dans sa seconde partie ainsi que dans
l’épilogue, tranchant comme une guillotine. Sur ce blog, on avait quitté Kubrick quelque peu démoralisé et empêtré dans les doutes et les affres de la polémique générée par Orange mécanique. On le retrouve 3 ans plus tard, aux commandes de ce
qui semble tout d’abord être un récit initiatique, picaresque et en costumes se déroulant au 18è siècle. Les péripéties romanesques qui s’y déroulent sont détournées de leurs attributions
habituelles par un humour à froid vachard et explosif, qui rappelle l’enchaînement Lolita, Docteur Folamour et Orange mécanique, mais aussi les Monty Python, avec lesquels Kubrick
partage le même génie de cet understatement anglais dont les ruptures brutales de ton (détail ravageur caché dans le coin d’un plan, voix-off tour à tour neutre et acerbe…) s’adaptent si
bien à un humour cinématographique.

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Dans cette 1ère moitié du récit, Barry Lyndon est un jeune con dénué de charisme, de culture et de jugeotte, qui agit avant de réfléchir et ne doit sa survie à la Guerre de Sept Ans et sa
progression dans l’échelle sociale qu’aux aléas du destin et à ses talents dans toutes les formes de duels physiques sauvages : au pistolet, à l’épée, à mains nues. Cette partie remplie de
rebondissements en pagaille est globalement inoffensive ; la suite, qui narre la déchéance de Barry et où toute trace d’humour disparaît brutalement (il n’y en aura d’ailleurs plus du tout
ou presque jusqu’à la fin de la carrière de Kubrick), n’en est que plus cassante. D’insignifiant, Barry devient une absence, un angle mort le plus souvent écarté de l’écran et de l’action.
Lorsque la caméra daigne le regarder, c’est pour fixer dans des plans peu avantageux ses épaules tombantes, son regard morne, ses bajoues gonflées. Barry est un trou noir, qui vide le film de
toute émotion, pour lui comme pour les autres ; et en accentuant ce vide par la longueur des plans et l’insistance de thèmes musicaux qui semblent ne jamais vouloir se taire, Kubrick rend
certaines séquences (le duel final, en particulier) terrifiantes car dénuées de toute humanité.

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Il frôle d’ailleurs parfois la complaisance vis-à-vis de sa misanthropie ; mais sans jamais complètement y tomber. En partie grâce à la pitié qu’il a envers Lady Lyndon, réhabilitée dans le
dernier plan après avoir été presque constamment accablée auparavant. Dès son apparition, ce personnage subit une violence sourde mais totale : en 1/4 d’heure, elle ne prononce que 2 phrases
(« Je vais prendre l’air » et « Pourriez-vous arrêter de fumer ? »), chacune étant immédiatement suivie – sanctionnée ? – dans le montage par un
événement scellant son destin auprès de Barry : la mort de son 1er mari, puis la naissance d’un fils. Cependant, Lady Lyndon n’est en réalité qu’une victime dans la masse ; car d’une
manière générale, c’est à tous les personnages du film que le langage impose à l’usage sa cruauté. Pendant 3 heures, dans chaque scène, les paroles déclamées ne servent qu’à insulter, tromper ou
condamner son prochain.

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Une autre chose permet alors de compenser la misanthropie du film : le talent génial de cinéaste de Kubrick. Tout en nous infligeant toute cette violence d’un côté, il nous régale de l’autre avec
une mise en scène en phase avec l’époque traitée – et surtout avec la représentation qui nous en a été léguée. Cette représentation, c’est celle des peintures et des écrits de l’époque ; elle est
donc d’une beauté exagérée par rapport à la réalité, et également figée dans une complète fixité. Kubrick retranscrit ce fait par des mouvements de caméra basiques, travellings et zooms toujours
selon un seul axe ; seule une scène-clé, où la caméra soudain portée à l’épaule exprime la transgression des règles de bonne conduite de la haute société, échappe à cette exigence. D’une
ambition visuelle démesurée (pour se détacher des déconvenues subies avec le film précédent ?), le cinéaste se fixe également comme règle que chaque plan soit le produit d’une composition
parfaite et d’une lumière majestueuse en intérieur, où tout est éclairé à la bougie, comme en extérieur (incroyables bleu du ciel et vert des forêts et prairies). La photo de Barry
Lyndon
est peut-être la plus belle jamais vue au cinéma. Quant au film dans son ensemble, la tenue sur 3 heures d’une telle rigueur dans l’exécution et d’une telle beauté dans le
résultat fait du morceau de bravoure un chef d’œuvre.

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