• Audrey Hepburn style : Breakfast at Tiffany’s et Love in the afternoon (USA, 1961 et 1957)

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A la maison, en DVD

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La semaine dernière

Avec qui ?

Seul pour Breakfast at Tiffany’s et avec MaFemme pour Love in the afternoon

Et alors ?

 

En plus d’être doté d’un superbe talent comique, Blake Edwards est un réalisateur très intelligent. C’est lui et lui seul qui est parvenu à sauver le projet voué à s’étouffer dans la guimauve
hollywoodienne qu’était Breakfast at Tiffany’s (Diamants sur canapé, en VF), en jouant la seule carte possible : celle du décalage humoristique
total. Le scénario qui lui avait été mis dans les mains avait récupéré comme base une œuvre de Truman Capote uniquement pour son prestige, sans se soucier de sa foncière inadaptation au cinéma
commercial. Il s’agit en effet d’une chronique douce-amère bien plus que d’une intrigue romantique. Chronique dont la conclusion se voit – mais est-ce une surprise ? – complètement dévoyée
par la transformation du héros en un playboy interchangeable (blond/yeux bleus/mâchoire carrée), et par le happy-end féérique qui est livré en accompagnement d’un tel lifting.

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Même le charme d’Audrey Hepburn a ses limites, et n’est pas en mesure à lui seul de nous faire avaler ce lourd menu sans broncher. Heureusement, donc, Blake Edwards est là pour mettre en place un
autre front de diversion, comique celui-là. Le tir de barrage y est assuré par les seconds rôles (Mickey Rooney en improbable japonais, et tous les autres : le parrain de la mafia, l’agent
d’Hollywood…), par les dialogues et situations décalés d’un pas de côté par rapport à la réalité pour glisser dans l’absurde (le nightclub et la danseuse topless qui s’y produit, les multiples
passages par l’escalier de service où vivent les deux héros)… La stratégie d’ensemble d’Edwards semble être celle d’une implosion totale du scénario. D’un bout à l’autre, la progression de
celui-ci nous importe en fait moins que le contenu de chaque séquence – le summum étant atteint, sans conteste, avec la recréation d’une Party (le chef-d’œuvre du
cinéaste) miniature, aussi désopilante que gratuite.

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Mais aussi brillantes que soient les trouvailles d’Edwards, elles interviennent toutes inévitablement a posteriori, pour tenter de compenser les tares initiales du film. Breakfast at
Tiffany’s
ne peut donc plaire que jusqu’à un certain point ; jusqu’à taper contre son propre plafond de verre. Une limitation que ne connait pas Love in the
afternoon
(Ariane, en VF, d’après le nom du personnage principal), développé dès le départ par le duo Billy Wilder – I.A.L. Diamond pour être à la fois une
comédie romantique et un modèle d’humour débridé. Le rôle dévolu à Audrey Hepburn, ainsi que la figure de l’amant qui lui est destiné par le scénario, disent clairement la différence de
perspective qui existe entre l’un et l’autre des films. C’est dans Breakfast at Tiffany’s que l’actrice est supposée être une call-girl, mais c’est dans Love
in the afternoon
que son personnage fait effectivement preuve d’un caractère déluré et émancipé. Le premier film utilise l’image classique consensuelle de l’icône Audrey Hepburn
pour atténuer l’impudeur du rôle ; le second donne à l’actrice Audrey Hepburn de quoi utiliser son talent pour s’éloigner autant que possible de ce cliché restrictif. Elle se voit ainsi en
mesure de créer un véritable rôle de composition, dans lequel elle n’est d’ailleurs pas la proie mais la chasseresse. L’étincelle du scénario est savoureuse à souhait : Ariane est la fille
d’un détective privé parisien spécialisé dans les intrigues amoureuses. De cette position privilégiée, et de la lecture assidue des dossiers d’enquête de son père qui l’accompagne, elle tire un
abondant savoir théorique sur tout ce qui touche à la séduction, à la passion amoureuse et aux drames qui peuvent en accompagner la fin. Elle-même est pourtant vierge de toute expérience
personnelle de ce genre, ce qui fait de Love in the afternoon une sorte de précurseur rieur de la dichotomie vie réelle / vie virtuelle de notre époque.

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Forte de cette instruction particulière, Ariane se met donc en tête de séduire un séducteur, faire tomber amoureux un briseur de cœurs : le milliardaire américain Frank Flannagan, qui
« travaille quand il n’est pas occupé » et a au moins une maîtresse dans chaque ville où il fait escale durant ses vacances prolongées de rentier. Incarné par Gary Cooper,
Flannagan a de toute évidence l’âge du père d’Ariane – Cooper avait 56 ans au moment du tournage – et loin d’ignorer ce fait Wilder et Diamond en font un des éléments les plus évidents du
scénario. Celui-ci porte dès lors sa « dépravation » (relativement aux standards des œuvres romantiques grand public d’Hollywood) en bandoulière. En effet, l’union entre le vieux
coureur de jupons plein aux as et la jeune fille qui n’a pas froid aux yeux, et la chasse opérée par cette dernière pour parvenir à cette fin sentent le souffre quand bien même elles débouchent
sur un mariage en bonne et due forme. De La
garçonnière
à  Embrasse-moi
idiot
le cinéaste était coutumier du fait, et Love in the afternoon est une tout aussi belle ode à la liberté de vivre, d’aimer et de coucher
hors de tout carcan répressif que ces deux autres films. [La conclusion de chacune de ces trois œuvres émeut sincèrement, preuve que le bonheur n’a rien à voir avec un quelconque respect des
conventions].

Love in the afternoon est aussi une ode à Paris (comme Irma la Douce , mais filmée en décors réels sur
place cette fois). Wilder aime de toute évidence la ville et ses habitants, ou alors il n’aurait pu donner à Maurice Chevalier un aussi beau rôle, comique mais aucunement moqueur ; et il
n’aurait certainement pas pu lui écrire une réplique telle que « In Paris people eat better, and in Paris people make love, well, perhaps not better, but certainly more often ».

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La mécanique comique de Love in the afternoon est similaire à celle des autres merveilles wilderiennes citées ci-dessus : elle est tout aussi exubérante et
implacable. Exubérante dans son premier mouvement, lequel ne sert en tout état de cause qu’à la mise en place des éléments de l’intrigue et pourtant dure trois quarts d’heure, soit un tout petit
peu plus du tiers de la durée du film. C’est littéralement un film dans le film, où l’exposition du grand film se fait en creux de la progression du petit film – l’enquête menée par le père
d’Ariane pour un homme dont la femme couche avec Flannagan, et la manière dont Ariane va prévenir et sauver celui-ci du courroux du mari jaloux. L’écriture de Wilder et Diamond se fait ensuite
implacable, dans son escalade comique vers toujours plus de délire et de porosité de la réalité à ces délires. Cela avance comme une avalanche : les quelques blagues lancées indépendamment
les unes des autres en haut de la pente se rejoignent en cours de route, s’agrègent, et y gagnent une force irrésistible lorsqu’elles nous submergent. Le listing jamais achevé des amants virtuels
d’Ariane, les apparitions de plus en plus nombreuses et improbables du groupe de musiciens tziganes dont Flannagan s’est attaché les services sont parmi les fers de lance de cette déferlante
comique phénoménale. Les spectateurs sont peut-être noyés par elle mais pas les personnages qui surfent, indemnes, sur sa vague jusqu’au dénouement.

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