• Ali, de Michael Mann (USA, 2001)

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Où ?
Chez moi, en DVD (l’édition zone 1, la seule à proposer la version director’s cut qui, comme toujours chez Mann, apporte quelques retouches pertinentes par rapport à la version vue en salles)

 

Quand ?

 

Lundi soir

 

Avec qui ?
Ma fiancée, dont l’aversion pour la boxe a été surpassée par le nom du réalisateur

 

Et alors ?

 

Alors qu’il est sûrement le plus grand metteur en scène en activité à Hollywood, Michael Mann est en même temps le plus discret dans les commentaires audio qu’il enregistre volontiers pour chacun
de ses films. On espère y trouver des développements techniques sans fin sur l’aventure du numérique HD, des éclaircissements sur les inspirations et les ambitions qui nourrissent son travail
d’orfèvre sur le plan plastique, bref des récits de tournage et de mise en scène ; le bougre ne nous abreuve 2 heures durant (car il se tait assez peu) que d’histoires se rapportant à la
pré-production – écriture du scénario, repérages, consultation d’archives et d’experts. Des commentaires d’autant plus frustrants qu’ils sont… passionnants, qu’il s’agisse des détails presque
maniaques donnés sur le travail d’agent infiltré et sur la débauche technologique dont ils disposent (Miami vice) ou de la géographie et de l’urbanisme de Los Angeles
(Collateral) ; on n’ose en effet imaginer ce que cela donnerait si Mann daignait parler avec la même minutie de la forme de ses films.

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Pendant les 2h30 d’Ali, le cinéaste nous gratifie d’un cours d’histoire sur les années 60 et 70 aux États-unis, et en particulier sur le combat des Noirs pour leurs
droits civiques. Ce faisant, il ne dévie pas de ce qui a été sa ligne directrice pour le film : replacer l’immense champion qu’était Mohammed Ali dans son contexte mouvementé, et qui a
nourri son parcours. Dans l’ouverture de son commentaire, Mann déclare avoir voulu replacer ses acteurs dans l’ambiance délétère de cette époque, qu’il a vécu comme enfant. Soit exactement ce
qu’il fait pour le spectateur au cours des 10 magistrales premières minutes du film, séquence d’ouverture qui compte parmi les plus ambitieuses et les plus fabuleuses de l’histoire du cinéma. Sur
fond d’une performance live ininterrompue du chanteur soul Sam Cooke, dont l’on voit certains extraits fidèlement reproduits, Mann peint un kaléidoscope de la vie des Noirs en
1964. Des scènes très courtes, collées par leur cohérence thématique, montrent la ségrégation dans les bus, la suspicion constante de la police, les lynchages… et en même temps l’incroyable
énergie vitale de cette communauté, que le réalisateur filme avec un respect et une humilité de tous les instants. Transportée par ce qu’elle capte, sa caméra danse dans le public du concert
comme elle dansera plus tard au milieu des courses d’enfants ou sur un ring de boxe.
(N.B : en plus de ces qualités, cette séquence d’ouverture se distingue aussi par le fait qu’elle évoque en 10 minutes les 3 religions monothéistes, et ce sans aucun jugement de valeur)

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De ce tableau émerge une figure, celle de l’homme qui est encore Cassius Clay et qui va devenir, à 22 ans, champion du monde des poids lourds en cette année 64. Le combat qu’il remporte haut la
main face à Sonny Liston est un nouveau moment inoubliable de mise en scène. Là encore, le commentaire audio de Mann est très instructif : le cinéaste y raconte avec nombre de détails les
stratégies des 2 boxeurs, leurs atouts et faiblesses, et l’évolution du rapport de force au fil des rounds. Autant de choses qu’il parvient à faire passer dans sa mise en scène du combat, en
exploitant tous les angles de vue possibles (le making-of nous le montre à 50 cm des acteurs, tournant autour d’eux avec une caméra miniature) et en poussant montage et mixage à un degré de
complexité époustouflant. L’ajout ou le retrait à la bande-son des bruitages, des commentaires des journalistes, de la musique selon les périodes donne à l’affrontement un souffle inouï, qui mène
à un premier apogée après moins d’une 1/2 heure de film.

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Cet enchaînement d’une longue séquence d’entraînement et de préparation reliant conflits intimes et globaux, et d’un combat mythique servant d’allégorie à la résolution de ces conflits trouve un
écho dans la dernière partie du film, consacrée au « Rumble in the jungle » qui opposa en 1974 Ali à George Foreman à Kinshasa. Ce combat est l’un des événements sportifs les
plus documentés de l’histoire moderne (en particulier dans le superbe When we were kings), et Mann cherche donc moins à impressionner qu’au cours du premier acte du
film. Il se focalise sur le destin personnel de Mohammed Ali, pour qui ce combat représentait une opportunité unique de renaissance. Car la décennie entre ce championnat du monde et celui contre
Liston a pris pour The greatest, comme pour les causes qu’il défendait, des allures de descente aux enfers : déchirements politiques au sein du mouvement Nation of Islam dont il
était un membre actif, assassinats de Malcolm X et Martin Luther King – recrées méticuleusement mais sans tomber dans le m’as-tu-vu, ce qui est une sacrée gageure, condamnation (et donc
interdiction de boxer) pour son refus d’aller combattre au Vietnam.

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Par cette dernière décision, le champion devenait bouc émissaire et symbole de la reprise en main de la société par ses membres les moins progressistes. Mann prend à bras le corps la complexité
de cette période et des gens qui l’ont faite, avec le même goût pour le film politique ambitieux et touffu que dans Révélations – et la même réussite dans la description
d’un tableau d’ensemble, zones d’ombre comprises. Du coup, après l’euphorie des premiers succès et le retour de bâton de l’échec de l’utopie collective, la revanche sur le sort prise par Ali en
74 est teintée de nostalgie. Même s’il est porteur d’espoir pour toute une jeunesse africaine, comme une superbe scène de footing au milieu des enfants le fait ressentir, Ali gagne en effet avant
tout pour lui-même et non plus au nom d’une communauté. S’il n’a pu mettre le boxeur à terre, le règne de l’individualisme alors naissant (l’ombre du promoteur Don King qui plane sur le combat en
est un signe précurseur) l’a malgré tout marginalisé. En gardant ce fait présent dans le film, Mann évite d’idéaliser béatement l’exploit d’Ali à Kinshasa – sans pour autant en réduire la magie,
qui irradie chaque composante du plan final, figeant à jamais la légende du boxeur.

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P.S. : je me rends compte que je n’ai pas dit un mot sur Will Smith, dont la performance mérite pourtant tous les éloges. Pour évoquer une dernière fois le commentaire audio, Michael Mann y
signale à plusieurs reprises qu’il a fait rejouer à la virgule et à l’intonation près certaines tirades d’Ali à son acteur principal. En plus d’offrir des scènes dévastatrices, cela a sûrement
permis à Will Smith de faire sienne la rage inhérente à son personnage.

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