• Ace in the hole (Le gouffre aux chimères), de Billy Wilder (USA, 1951)

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Où ?

A la maison, en DVD zone 1 Criterion

 

Quand ?

Il y a deux semaines

 

Avec qui ?

Ma femme

 

Et alors ?

 

Billy Wilder a toujours eu en lui un naturel cynique et misanthrope, y compris dans ses comédies (La garçonnière) et ses romances (Avanti !), où ce mélange des genres fait tout le sel d’œuvres finalement complexes et
douces-amères. Avec quelques autres films noirs (Assurance sur la mort, Sunset Blvd.), Ace in the hole est l’un des rares exemples où ce cynisme et
cette misanthropie sont exposés frontalement, sans filtre. Wilder déroule sans tergiversation son scénario et ses personnages à partir de sa foncièrement viciée situation de départ. Soit un
homme, Leo Minosa, piégé sous un éboulement dans une mine au fin fond du désert du Nouveau-Mexique ; son épouse Lorraine qui lui porte aussi peu d’amour qu’à leur cadre de vie, et qui compte bien
profiter de ce coup du destin pour repartir de zéros (ceux du pactole avec lequel elle prévoit de se tirer) ; et pour compléter le triangle, un journaliste opportuniste – pour dire le moins -,
Chuck Tatum, qui cherche à exploiter l’événement pour en tirer un scoop à même de le ramener en haut de l’affiche.

 

L’emballement de la machine infernale du drame est très bien agencé, avec les décisions malheureuses des protagonistes comme uniques facteurs d’aggravation. Le calvaire du prisonnier de la
montagne est ainsi prolongé au-delà du nécessaire pour les seuls besoins du conte tragique de Tatum ; lequel a pour principal effet secondaire difficilement manquable un obscène barnum festif -
littéralement, avec grand-roue et manèges – et médiatique se déroulant enflant sans discontinuer juste à l’extérieur de la grotte. La tension énorme des rapports humains (en particulier entre
Tatum et l’épouse déloyale, à la relation d’amour-haine fascinante de brutalité), et la fuite en avant dans des méthodes méprisables de tous ceux ayant quelque chose à tirer de cette affaire,
sont soutenues par une interprétation sans faille. La performance la plus évidente est celle de Kirk Douglas, à qui Wilder demande de faire exactement ce qu’il sait faire – surjouer, serrer les
dents, exorbiter les yeux. Mais c’est bien la méconnue Jan Sterling qui propose la composition dont l’on se souvient, en faisant à l’écran de Lorraine le personnage féminin atypique et
remarquable qu’elle avait tout pour être sur le papier. Délivrée du carcan scénaristique qu’est l’amour porté à un homme, et sans sentiment de devoir quoique ce soit à son mari pourtant entre la
vie et la mort, Lorraine est une femme libre, autonome, un pont entre les femmes fatales condamnables des films noirs (ce qu’elle n’est pas, n’ayant rien manigancé a priori contre son mari) et
les féministes des décennies à venir.



Ace in the hole est de plus parcouru par des visions grandioses
de cinéma, la plupart édifiées autour de l’opposition entre le sentiment violent de claustrophobie à l’intérieur de la mine et le remplissage obscène de l’espace infini du désert au dehors.
Wilder use de tous les moyens visuels imaginables (les plans larges de l’étendue désertique noire d’activité humaine sont vertigineux) pour appuyer là où ça fait mal, pile sur ce point de
fracture entre le vital et le superficiel, l’héroïsme – Leo accepte peu à peu sa mort probable avec philosophie, en se croyant toujours aimé de sa femme – et l’égoïsme dans leurs formes les plus
pures. Pour des raisons plus formelles, l’ultime plan du film est également mémorable, conclusion idoine de ces deux heures de hargne hystérique.



Alors, où est le (petit) problème qui fait de Ace in the hole
une œuvre légèrement moins satisfaisante que d’autres du cinéaste ? Précisément dans cette absence de nuance qui mène à une absence de surprise, de rupture ; en quelque sorte à un
« ronron » du cynisme. On ne s’ennuie jamais, loin de là, mais on ne se sent pas non plus bouleversé, plongé dans le doute face aux comportements des personnages ou à leurs destins. Le
film est lancé sur des rails prévisibles, ne prend jamais de chemin de traverse. Et bien qu’elle soit captivante comme j’ai pu le dire plus haut, l’alchimie entre Kirk Douglas et Jan Sterling n’a
pas cette excentricité, cette ouverture sur la folie qui permettait à Assurance sur la mort (Fred MacMurray face à l’immense Barbara Stanwyck) et à Sunset Blvd.
(William Holden face à l’encore plus immense Gloria Swanson) de nous prendre à revers.



Le double DVD concocté par Criterion est une des très belles réussites de
l’éditeur, qui a regroupé sur le second disque un ensemble complémentaire et exhaustif d’interviews d’archives – Kirk Douglas, le coscénariste William Newman – et de documentaires – un long et
superbe portrait de Billy Wilder par le critique français Michel Ciment, réalisé en 1980.



Ces suppléments nous apprennent de très intéressantes choses sur le film, nous
font profiter des saillies dont Wilder est coutumier (« The only thing that I hate more than not being taken seriously is being taken too seriously ») ; mais le meilleur bonus
de l’édition est peut-être bien son livret de 4 pages, présenté sous la forme d’un quotidien de l’époque et comprenant une excellente analyse de Ace in the hole. L’idée qui y est
développée selon laquelle Tatum et Lorrain seraient à ce point cyniques et violents pour étouffer leur gêne d’être vivants et libres alors que Leo est piégé dans la mine me plaît beaucoup ; de
même que le rapprochement fait avec la mauvaise conscience potentielle de Wilder d’avoir échappé à Auschwitz alors que toute sa famille y a péri.

 

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