• 1941, de Steven Spielberg (USA, 1979)

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1941-1Où ?

A la maison, en DVD zone 2 sorti juste avant Noël

Quand ?

Un dimanche des vacances de Noël, au petit déjeuner

Avec qui ?

MaFemme

Et alors ?

 

1941 est un écart, une embardée même, dans la carrière de Spielberg comme très peu d’autres réalisateurs en ont. Le réalisateur mettra d’ailleurs plus de vingt ans à se remettre
du rejet violent par le public de cette autre facette de lui-même : après 1941, ses œuvres suivantes à ne faire aucun effort pour faciliter l’adhésion du grand public, et à
être en cela profondément personnelles et hardies, seront A.I. (2001) et Minority report (2002). Entre temps, Spielberg s’est contenté de creuser le sillon
glorieux du triomphe « médian » qui s’est ouvert à lui avec, coup sur coup, Les dents de la mer – qui fait peur juste ce qu’il faut – et Rencontres du troisième
type
qui émeut juste comme il faut. Il n’y a aucune critique dans cette dernière phrase (j’apprécie beaucoup ces deux films), car il n’y a rien de foncièrement critiquable à fournir au
public ce qu’il attend lorsque ce don est fait de manière aussi talentueuse. Mais il est également facile de comprendre l’envie de Spielberg, au moment de devenir LE cinéaste le plus célèbre et
adulé de sa génération, de faire encore des films uniquement pour soi.

 

On pourrait étudier du point de vue de la psychologie l’appétit vorace avec lequel Spielberg s’est investi dans le projet 1941. C’est là l’évident fil directeur qui se dégage du
long (et bon) making-of qui accompagne le film sur cette édition DVD. 1941 était initialement une blague acide et perverse ayant germé dans l’esprit de deux Bob tout frais
diplômés de la fac de cinéma : Bob Gale et Bob Zemeckis (seul le second a réellement fait carrière).
C’était une charge offensante envers à peu près tous les protagonistes de la Seconde Guerre Mondiale, dès le titre imprimé sur la page de garde (« The night the Japs
attacked »
) et jusqu’à la fin à bord du bombardier Enola Gay, où l’un des personnages largue avec satisfaction la bombe A sur Hiroshima en représailles du concours de jitterbug
que les japonais lui ont indirectement fait perdre en se pointant un jour de décembre 1941 à Los Angeles.

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Le principal élément qui reste du script original, que Spielberg réécrivait avec Gale et Zemeckis la nuit en même temps qu’il tournait Rencontres du troisième type le jour (on
peut voir là soit de l’équilibre, soit de la schizophrénie), est son inspiration puisée dans une ambiance et des événements réels. Entre autres choses, le fait qu’après le cataclysme de Pearl
Harbor les habitants de la côte Pacifique des USA ont commencé à développer une paranoïa aiguë de voir débarquer à leur porte la flotte et l’aviation japonaises. En piochant dans les effets de
cette surexcitation les anecdotes les plus savoureuses (la batterie anti-aérienne dans le jardin d’un particulier, la fausse alerte d’un avion survolant L.A., le sous-marin japonais égaré dans
les eaux territoriales américaines), et en les emmêlant les unes aux autres de façon complètement disproportionnée, le scénario de 1941 met en place une structure de film choral
incontrôlable, déréglé, déjanté.

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Là-dessus, Spielberg est donc arrivé. Il était à la fois l’homme de la situation, car le seul à pouvoir obtenir pour ce projet un budget d’importance et un montage financier inhabituel (partagé à
moitié entre Universal et la Columbia) ; et celui qui allait mener 1941 au-delà du point de non-retour en ce qui concerne la rentabilité commerciale. Spielberg s’est
complètement approprié le film – il admet lui-même dans le making-of en avoir trahi l’esprit originel, plus grinçant. Cette potentialité d’une rupture radicale avec son image de gendre idéal
l’a grisé au point de lui faire accumuler les idées les plus folles. La moitié de celles-ci sont mortes en cours de route (et se voient partiellement ressuscitées grâce aux témoignages recueillis
pour le documentaire), mais la moitié qui a survécu suffit à faire de 1941 un objet unique, stupéfiant, que chacun apprécie ou non essentiellement en fonction de sa capacité de
résistance physique face à une telle tornade d’explosions, de bagarres et de gags régressifs.

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Sous l’impulsion de Spielberg, 1941 commence ainsi par deux séquences on ne peut plus gratuites, qui n’apportent qu’une contribution symbolique à la mise en place du récit. Elles
mettent par contre clairement en place la tonalité de ce qui va suivre en prenant la forme de deux citations auto-parodiques, respectivement aux Dents de la mer (la nageuse
« chargée » par un sous-marin au lieu d’un requin) et à Duel (la destruction de la station-service). Ces clins d’œil arborent un humour vulgaire et potache dont
Spielberg semblait – et semble toujours – devoir être le dernier colporteur envisageable : l’exagération du symbole phallique du périscope du sous-marin auquel la fille nue se cramponne sous
les yeux ravis des soldats, les élucubrations injurieuses de John Belushi (dont la plus grande part de la performance dans le film est improvisée). Le cinéaste démontre un réel sens du tempo
comique, même à plein régime, et une sincérité dans l’exercice qui nous fait partager volontiers son délire.

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La tête dans le guidon, Spielberg s’était par ailleurs mis en tête de transformer intégralement 1941 en comédie musicale (il reste de cette fantaisie la séquence virtuose du
concours de jitterbug tournant au pugilat général, mais toujours en rythme s’il-vous-plaît) ; ou encore de proposer l’un des rôles principaux à Charlton Heston et à John Wayne. Avec
le patriotisme sans bornes et bas de plafond qu’on lui connait, ce dernier aurait répondu qu’il s’agissait de « la plus grande bêtise anti-américaine jamais écrite ». Ce qui
est finalement un jugement d’une grande pertinence : 1941 est viscéralement bête (mais de cette bêtise clairvoyante dont Will Ferrell est aujourd’hui le
porte-drapeau), et il est en tout état de cause anti-américain puisque tous les américains que l’on y trouve sont des crétins finis. Il y en a pour tous les goûts : des simples d’esprit, des
obsédés, des méprisables, des va-t-en-guerre, et certains cumulent même plusieurs emplois. On ne s’étonne pas que John Wayne, saint-patron de tous les défenseurs d’identité nationale, ait refusé
de prendre part à ce défilé. Et même sans lui, Spielberg a rassemblé un casting de guest stars qui laisse rêveur : Christopher Lee, qui troque son costume de Dracula pour celui de capitaine de l’armée nazie, et Toshiro Mifune,
vociférant tant et plus contre ses subalternes, se chargent de porter l’outrage aux nations allemande et japonaise ; et Slim Pickens, celui-là même qui chevauchait la bombe atomique dans
Docteur Folamour, apporte sa caution dans un rôle d’américain tout à fait moyen répondant au nom de Holly – pour Hollis – Wood.

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La folie des grandeurs de Spielberg a porté jusque dans les effets spéciaux. Pour bien s’en rendre compte, il faut entendre dans le making-of le récit du destin de cette scène d’un lancer de
torpille par le sous-marin japonais, torpille qui se serait retrouvée entre autres péripéties à faire la course avec une moto sur l’autoroute. La séquence ne sera abandonnée qu’après qu’un test
avec une fausse torpille grandeur nature eut éventré la porte du studio, et ait failli réellement partir sur la route. Une quantité astronomique d’autres maquettes et miniatures peuple cependant
le film, et pas seulement en arrière-plan. Les morceaux de bravoure que sont les séquences à rallonge au parc d’attractions (avec la chute de la grande roue) et sur Hollywood Boulevard (la suite
de la bagarre générale dont il est fait mention plus haut, et qui implique ensuite des tanks et un ballet d’avions de chasse) sont époustouflants. Ils poussaient à l’époque l’art des effets
spéciaux matériels, dans ses retranchements ; et aujourd’hui encore ils se savourent au premier degré, sans l’ombre d’un sourire moqueur. On pourrait facilement l’oublier sous l’avalanche
d’hystérie comique, mais c’est bel et bien 1941 qui talonne Jurassic Park comme film le plus spectaculaire de son auteur.

 

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