• The Lone Ranger, de Gore Verbinski (USA, 2013)

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Où ?

Au ciné-cité les Halles

Quand ?

Dimanche, à 16h

Avec qui ?

MaBinôme

Et alors ?

Bien sûr, il y a écrit « Pirates des Caraïbes » partout sur l’emballage de The Lone Ranger. Financé par Disney, produit par Jerry Bruckheimer, co-écrit par Ted Elliott et Terry Rossio, mis en musique par Hans Zimmer, réalisé par Gore Verbinski, et avec en tête d’affiche un Johnny Depp présentant un nouveau numéro de pitre grimé à outrance : c’est la même équipe avec la même proposition de produit à nous vendre, selon toute apparence. Toute ? Non ! Car à l’occasion du passage de l’univers des pirates à celui du western, un changement majeur s’est logé dans les rouages de la machine. Pirates des Caraïbes était né dans le monde clos et totalement factice des parcs d’attractions (dont il « adaptait » un des manèges sur grand écran) ; The Lone Ranger germe dans une terre bien réelle, où ses racines s’enfoncent et s’alimentent amplement. Ce changement d’état, de la bouffonnerie abêtissante car déconnectée du vrai monde, à la farce romanesque comme moyen de survie contre la dureté de l’existence, travaille The Lone Ranger dès son ouverture. Le superbe panoramique inaugural nous emmène précisément jusque dans une fête foraine, dans les pas d’un enfant pénétrant une attraction sur le thème du Far West. Mais ce que lui, et nous, y ressentons en premier lieu est de la mélancolie. On y fait la connaissance d’un des deux protagonistes, Tonto le Comanche, mais vieux, usé, quasi-mort, et sans nulle trace ni nouvelle de son compère d’aventures exaltantes, John Reid alias le Lone Ranger. Le film commence par nous dire que les héros, lorsqu’ils ont fini de l’être, se flétrissent, tombent dans l’oubli, expirent.

Cette vérité peu reluisante ouvre une liste qui s’allongera tout au long d’un récit où beaucoup de vies devront être sacrifiées avant que le bien ne l’emporte. Parce que le mal est une source de pouvoir difficilement égalable, que tout progrès a une sinistre face obscure, que la justice est un horizon inatteignable dans la pratique d’une société. Si The Lone Ranger est à destination des enfants, ce qui reste à démontrer, alors c’est dans le but de leur administrer une cure express de désenchantement. La classification PG-13 (que l’on pourrait traduire par « pour tous publics avec léger avertissement ») obtenue par The Lone Ranger est un cas d’école de l’ineptie du système de censure américain. Puisque l’on n’y jure pas, que l’on n’y baise pas, et que les effusions de sang y restent en quantité et modalités convenables, on peut visiblement tout faire passer comme une lettre à la poste – et Verbinski ne se prive pas d’en profiter, suivant toutes les voies qui mènent à toutes les variations du genre western. Une visite de bordel malpropre et gouailleur, un massacre d’Indiens mené de sang-froid à la Gatling, un méchant cannibale et arracheur de cœurs, un guet-apens dans un canyon où l’on voit tous les membres de l’expédition se faire exécuter un à un sont au menu, et font de ce film la production Disney la plus dure, aigre et impure depuis des lustres.

Il n’y a pas jusqu’à la figure de proue Johnny Depp qui réchappe à cette entreprise de réancrage de la fiction dans la véridicité, qui est au cœur de The Lone Ranger. Alors que durant la première moitié son personnage de Tonto guide le film sur la piste d’un merveilleux fantaisiste, à laquelle on adhère joyeusement, un flash-back brise net la chimère. En nous montrant crûment le trauma horrible à l’origine de l’état délirant de Tonto, cette séquence le fait passer du statut de Guignol à celui de Fool on the hill, réfugié dans une autre réalité afin d’être en mesure de continuer à aller de l’avant malgré la violence de la réalité objective. Son acolyte John Reid étant fait du même métal déphasé (pied-tendre citadin et éduqué absolument pas à sa place au milieu des durs à cuire sans pitié de l’Ouest), ils forment un duo finalement plus dysfonctionnel que mythologique. Ils ont la tête dans les étoiles, les pieds dans la crasse, et se trouvent néanmoins au centre d’un très grand spectacle. Ils sont, ainsi, la preuve qu’être conscient de la noirceur du monde et de l’histoire (The Lone Ranger est très sévère quant aux fautes de la révolution industrielle et de la fondation des USA) n’empêche pas d’en mettre plein les yeux et de faire jubiler son public. La virevoltante première scène d’action, à bord d’un train lancé à pleine vitesse où Reid et Tonto se rencontrent enchaînés, semble insurpassable en son genre. Jusqu’à ce que déboule l’ahurissant final, à bord de deux trains lancés à pleine vitesse, sur des voies parallèles… ou se croisant.

Verbinski réalise là rien de moins que la régénération de la séquence culte des wagonnets d’Indiana Jones et le Temple maudit, à l’ère du numérique tout-puissant qui permet infiniment plus de folies, à une échelle et une vitesse elles-mêmes infiniment plus folles (ce dont Spielberg lui-même a profité, pour Tintin). Sans s’être annoncé, Verbinski s’installe à côté de Snyder et de son Man of steel au premier rang des dynamiteurs de l’été américain. Car à son budget quasi-illimité, il allie l’élément primordial : le talent de metteur en scène. Lequel intervient ici sous une forme classique, par le sens de la limpidité du découpage, de la fluidité de l’action (deux choses fondamentales pour la réussite des grandes scènes en mouvement frénétique citées plus haut), autant que par celui du rythme et de ses inflexions – point essentiel pour tout le reste du film. C’est grâce à cette science du tempo que Verbinski maintient, sans fléchir ni tirer dans les extrêmes, l’équilibre tragi-comique de son histoire (la scène de l’enterrement parasité par le cheval est une pure merveille dans le genre). L’envergure de sa réussite se mesure à l’aune de l’impression positive que nous laissent les performances de ses comédiens. Cela faisait bien longtemps que, derrière le maquillage et les mimiques, Johnny Depp n’avait pas été aussi touchant ; quant à Arnie Hammer (The social network, J. Edgar), sa raideur et sa solennité ici utilisées à contre-emploi produisent un numéro comique réjouissant.

Verbinski tient aussi à bout de bras un autre amalgame, encore plus déraisonnable et impressionnant : celui de toutes les références dont The Lone Ranger se nourrit sans relâche. Références de westerns, bien sûr – aux motifs typiques du genre évoqués plus haut il faut ajouter les modèles Ford et Leone, cités au travers de nombre de leurs films respectifs. Deux maîtres antithétiques que Verbinski fait pourtant cohabiter, tout comme il fait cohabiter trente ans de western avec les trente ans de série B qui ont suivi : le divertissement spielbergien, le brouillage des normes façon Tarantino, l’ascension récente de la figure du super-héros comme sujet de choix, ont autant droit de cité ici que Monument Valley et les trognes à la Leone. The Lone Ranger déborde, c’est un post-western, une série B totale et totalement extravagante. Cette démence généreuse se retrouve telle quelle dans la musique de Zimmer. Il délaisse pour une fois sa pesanteur habituelle, au profit d’une composition pleine de versatilité et d’inventions sur la base des thèmes d’Ennio Morricone. Le résultat est entraînant au possible, répétant idéalement à nos oreilles la tonalité d’ensemble atteinte par le film.

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