• Les aventures de Tintin : le secret de la Licorne, de Steven Spielberg (USA, 2011)

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Où ?

Au Grand Rex

Quand ?

Samedi soir, à minuit, en post-avant-première (la vraie avant-première avait lieu à 20h30, avec l’équipe du film)

Avec qui ?

MonFrère et mon compère de cinémathèque

Et alors ?

Je l’écrivais dans un de mes tout premiers billets de l’année, et je n’ai pas changé d’avis : la sortie des Aventures de Tintin : le secret de la Licorne est sans conteste l’événement cinématographique de 2011, pour des raisons similaires à celles qui avaient d’Avatar l’événement de 2009. Quand un des plus grands réalisateurs actuels revient après une longue période d’absence, et avec un projet comptant parmi les plus ambitieux de sa longue et riche carrière, il y a de quoi être particulièrement fébrile et impatient. Comme Steven Spielberg est tout de même un cran au-dessus de James Cameron dans la hiérarchie officieuse des cinéastes, que son pari est encore plus fou (tout un long-métrage en motion capture et en images de synthèse) et son matériau de base encore plus excitant (Tintin en lieu et place des aliens bleus géants), il y a même largement de quoi placer Le secret de la Licorne bien au-dessus d’Avatar en matière d’attentes générées. En plus, Spielberg a énormément à se faire pardonner après le foutage de gueule de son dernier ersatz de film à ce jour, l’abject Indiana Jones et le royaume du crâne de cristal, et au contraire de Cameron lui ne nous a jamais habitués à nous faire patienter si longtemps entre deux grands spectacles – avant Indiana Jones 4 les derniers, La guerre des mondes et Munich, datent de 2005.

Mais il semble écrit que Spielberg gardera jusqu’à sa mort son statut de plus grand entertainer du cinéma. Comme à chaque décennie[1], il fixe avec Le secret de la Licorne les nouvelles règles du jeu qui régiront le cinéma d’aventures et de divertissement pendant les années à venir. Spielberg aura officiellement 65 ans à la fin de l’année, mais son âme conserve une éternelle jeunesse qui lui permet de rester en phase avec chaque nouvelle voie s’ouvrant devant son genre de prédilection, et lui offrant de quoi émerveiller et captiver les nouvelles générations de public. Le secret de cette réussite insolente et jamais démentie tient en partie à sa capacité à travailler en équipe, à se fondre quand il le faut dans un collectif. Le secret de la Licorne est son film le moins personnel depuis Jurassic Park : le scénario a été confié à des anglais déjantés (Steven Moffat, showrunner de la série de S-F Doctor Who, puis Edgar Wright et Joe Cornish, du gang de Shaun of the dead), et l’ensemble du processus de pré- et de post-production a été géré par les équipes de Peter Jackson. Assez logiquement, on trouve très peu de traces des thèmes spielbergiens classiques dans le résultat final, ce qui fait probablement du Secret de la Licorne une œuvre moins majeure que d’autres dans sa filmographie. On ne peut cependant pas y voir une carence ou un revers, tant l’absence de tout sous-texte, de tout propos fait partie intégrante de l’identité du film, de son magnifique geste d’ensemble.

Avec Le secret de la Licorne, Spielberg effectue une transposition littérale à l’écran de ce qu’est – et de ce que n’est pas – le cinéma d’animation du 21è siècle. Avec la motion capture, le lien entre les personnages et les comédiens qui les interprètent est réduit à de la mécanique ; les seconds ne prêtent plus aux premiers leurs traits ni leurs émotions, seulement leurs mouvements. Le monde autour d’eux suit une mutation inverse, sa digitalisation intégrale faisant tomber toutes les contraintes opposées à l’imagination et à l’appétit du réalisateur pour des mondes nouveaux, des péripéties insensées et des décors opulents. Dit en une phrase : les protagonistes ne sont plus que des coquilles vides mises en mouvement, mais ce mouvement ne connait plus aucune limite. Bien sûr, ce principe de base appliqué à la lettre engendre la trahison de tous les illustres prédécesseurs sur lesquels Le secret de la Licorne s’appuie pour prospérer. Trahison du cinéma (adieu le concept d’identification avec un héros à notre image), de la bande-dessinée en général (le mouvement perpétuel remplace le découpage par cases) et du style d’Hergé en particulier – la ligne claire laisse la place à une bacchanale graphique de tous les instants, chaque plan regorgeant de détails qui rivalisent pour attirer notre regard. Mais c’est bien en trahissant que l’on crée de nouvelles formes. Et Le secret de la Licorne est ce que l’on a vu de plus profondément novateur depuis des lustres.

Se déroule pied au plancher devant nos yeux un film radical et intraitable dans tout ce qu’il entreprend. Quand on dit qu’il ne contient aucun temps de transition, de ponctuation ou d’exposition, c’est une affirmation à prendre au pied de la lettre. Spielberg les a tous annulés pour aboutir à un long-métrage inépuisable, débordant d’humour, de dangers, d’inventivité, qui se projette dans un seul et unique souffle de son point de départ à son point d’arrivée. Il applique à soi-même le credo confié au sein du récit au Capitaine Haddock, « quand tu te retrouves face à un mur, fonce à travers » – et en propose des illustrations concrètes à plusieurs reprises, lors de raccords visuels soudains et sidérants entre deux séquences (une poignée de mains qui devient un massif de dunes dans le désert sur lequel avance un chameau), voire même entre deux temporalités. Le mouvement de va-et-vient entre l’errance dans le désert de Tintin et Haddock, et la réminiscence hallucinée par ce dernier de la bataille navale dantesque ayant opposé son ancêtre à Rackham le Rouge est un moment époustouflant parmi tant d’autres dans le film. Là comme partout ailleurs dans Le secret de la Licorne, Spielberg se jette à corps perdu dans la concrétisation graphique de ses idées d’aventures les plus folles. Un abordage de pirates, un crash d’avion, un combat de grues de dockers, un vol alambiqué et spectaculaire commis en plein – et grâce au – récital de la Castafiore : le cinéaste a trouvé la clé du magasin de jouets et c’est avec une énergie et un enthousiasme ayant la déraison de l’enfance qu’il en passe en revue tous les rayons. Son préféré, et le notre par la même occasion, est celui de la ville méditerranéenne dont les pentes menant du palais du sultan au bord de mer vont être le théâtre d’une course-poursuite ahurissante entre toutes sortes de véhicules. Spielberg se paye le luxe de la filmer en un plan-séquence monumental, virtuose, excessif en tout, qui fera date dans l’histoire de ce nouveau cinéma. Et qui marque la rupture la plus franche du film avec l’ancien, puisque ce qu’il évoque avant tout est l’euphorie cinétique des jeux vidéo. On pense en particulier à la série des Uncharted. Mais puisque ces derniers s’inspirent ouvertement de la saga Indiana Jones, Spielberg ne fait en définitive que reprendre les commandes de l’héritage de son œuvre.

[1] Pour rappel : Les dents de la mer en 1975, Les aventuriers de l’arche perdue en 1981, Jurassic Park en 1993, le triptyque magique A.I.Minority reportArrête-moi si tu peux en 2001-02

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