• Indiana Jones et le Temple maudit, de Steven Spielberg (USA, 1984)

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Où ?

A la Cinémathèque, dans le cadre de la rétrospective consacrée au réalisateur

Quand ?

Dimanche, à 15h

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

La saga des Indiana Jones est un cas unique parmi les franchises de cinéma. Elle est extrêmement hétérogène d’un long-métrage à l’autre, chacun des quatre incarnant de façon très pure un des états sous lesquels peut se présenter un épisode d’une série, de la même manière que la matière peut prendre les formes solide, liquide et gazeuse. Pour les films, une fois passée par l’état originel auquel il est impossible de couper (ici Les aventuriers de l’Arche perdue, qui fixe les règles, les caractères, l’ambiance), il y a pour se renouveler par rapport à celui-ci, au choix : l’état de surenchère (Le Temple maudit), l’état de déclinaison quasi parodique (La dernière Croisade), l’état de bazardage définitif (Le royaume du Crâne de cristal). D’ordinaire, les franchises avancent de film en film en procédant à un saupoudrage de chacune de ces formes ou bien à leur panachage, évitant toute posture trop radicale. Pas Indiana Jones, qui saute à pieds joints de l’une à l’autre – ce qui explique en retour que les avis des spectateurs soient si tranchés à propos des différents épisodes ; on a bien plus nettement son épisode préféré et son épisode honni que pour d’autres sagas sur grand écran.

En ce qui me concerne, Le Temple maudit est insurpassable – au sein de la série, et même dans le cinéma d’aventures de manière générale. Parmi les Indiana Jones, la blague du Royaume du Crâne de cristal me parait se faire à mes dépends, le jeu de citation et de recyclage de La dernière Croisade vis-à-vis du premier film m’amuse mais reste en définitive assez pauvre ; et si Les aventuriers de l’Arche perdue est un grand moment de divertissement, je trouve que ses ingrédients prennent encore plus de saveur quand ils sont accommodés avec une dose supplémentaire d’outrance, comme c’est le cas dans Le Temple maudit. Profitant du fait que le cadre établi dans le premier épisode ait brillamment fait ses preuves, Spielberg et Lucas poussent tous les curseurs estampillés « fun generator » plusieurs crans plus loin, au-delà des limites convenables. Plus d’exotisme lointain (l’Extrême-Orient remplace le Sahara, et les divinités hindoues la Bible), plus de comique bouffon (tous les sidekicks sans exception ne servent qu’à cela), plus de magie surnaturelle (l’Arche d’Alliance avait un unique pouvoir occulte, s’exprimant à la toute fin du récit ; le Temple de Kali en a bien plus, qui irriguent toute la deuxième moitié du film), plus de débauche de spectaculaire dans les péripéties et des transitions plus soudaines entre celles-ci, imposant un rythme ahurissant : Le Temple maudit est en surchauffe permanente. Il n’y a plus la moindre goutte de réalisme dans les tuyaux, et à aucun moment le script ne cherche – heureusement ! – à nous imposer un détour par la pompe pour en remettre. Il assume pleinement son rôle de passeur de la fantaisie et de l’aventure, entre le serial d’antan (sous forme de film ou de BD) et le jeu vidéo à venir.

Chaque extrémité du film est une manifestation exemplaire de cette profession de foi. A l’ouverture, qui enchaine en un souffle comédie musicale, fusillade de gangsters des années 1930, saut en chute libre d’un avion sans pilote et passage de rapides en zodiaque, répond le final, où l’évasion d’une mine aux mille dangers conduit à une falaise à pic et dévorée bloc par bloc par le déferlement de plusieurs tonnes d’eau, puis à un pont de corde au dessus du précipice, qui finira par être tranché en deux et projeté à la verticale des parois du ravin. Dans ces deux engrenages le mouvement est perpétuel, l’espace est pleinement occupé, les trois dimensions sont exploitées à tour de rôle. Projeté dans le sillage des personnages de l’horizontale à la verticale et dans la profondeur, le spectateur est sujet à un vertige délicieux. Aux commandes de cette machine démente, Spielberg maîtrise, à l’aise. Il affirme une fois de plus sa qualité de génie du divertissement et du grand spectacle, jamais submergé par l’énergie immense générée par le film (Guy Ritchie et ses bouillies de Sherlock Holmes devrait prendre des leçons) et n’ayant pas non plus besoin d’en réduire l’intensité pour maintenir son contrôle. Étourdissant mais limpide, excessif mais gracieux, grotesque mais beau, chorégraphié avec la même perfection au niveau macroscopique et microscopique, Le Temple maudit est une merveille. On le doit au cinéaste mais aussi, bien sûr, à tous ses collaborateurs eux aussi inspirés et téméraires comme rarement dès lors que le film pénètre dans les entrailles du Temple, pour y passer quasiment toute sa deuxième heure. La musique de John Williams, la lumière de Douglas Slocombe, les décors d’Elliot Scott sont tous contaminés par cette même folie douce, qui les fait s’écarter de la zone de confort dans laquelle ils ont l’habitude d’évoluer, pour un résultat unique et électrisant. Kali est doté de pouvoirs immenses, c’est évident.

Le plus puissant de ceux-ci étant la jeunesse éternelle accordée au film. Le Temple maudit ne vieillit tout bonnement pas, résistant aux changements de modes et aux vagues de nouvelles technologies. La poursuite effrénée dans les tunnels de la mine, à bord de wagonnets lancés à pleine vitesse, en est la prodigieuse démonstration. Tout ce que la scène a de potentiellement merveilleux sur le papier – sa durée, son adrénaline, ses rebondissements, ses embranchements, ses collisions – se retrouve sans aucune déperdition d’énergie sur la pellicule, et demeure intact peu importe le temps qui passe de ce côté-ci de l’écran. Démonstration jouissive, leçon magistrale.

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