• Sinister, de Scott Derrickson (USA, 2012)

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Où ?

Au ciné-cité Bercy

Quand ?

Vendredi soir, à 22h

Avec qui ?

MaBinôme

Et alors ?

Le cinéma d’horreur est actuellement en pleine traversée du désert, à la suite de deux phénomènes : le tarissement de la veine anglaise (qui nous avait donnés au cours des années 2000 les superbes 28 jours plus tard, The descent, Isolation, Eden lake, etc.), et le succès immense du pathétique Paranormal activity. Face à ce dernier, les responsables des studios d’Hollywood ont eu la révélation que l’horreur version hard discount marchait presque aussi bien que celle conçue avec un souci minimum de qualité, et était donc infiniment plus rentable. L’horizon du genre n’a pas tardé à se réduire à des sursauts faciles, dont la mise bout à bout selon une cadence mécanique a désormais valeur de film. L’intérêt porté aux personnages, aux idées de fond (lesquelles ont pourtant vocation à être la colonne vertébrale du genre : la peur au ventre est avant tout un intermédiaire ouvrant la voie au tourment des esprits), au cinéma comme ouvrage soigné devient nul ou presque. Dans ce paysage désolé, Sinister est une oasis délicieuse – car malfaisante et perfide.

Le réalisateur Scott Derrickson est peu friand de ce niveau zéro de la terreur, fait de « jump scares » routiniers et aussi rudimentaires qu’un « Bouh ! » crié dans votre dos. Il en dissémine bien ça et là mais en quantité si faible, et avec un manque d’entrain si net, qu’il semble assurément s’être plié à l’exercice dans le seul but de contenter ses producteurs. Ce qui lui tient réellement à cœur est de raconter une histoire, solide et franche. À contre-courant du troupeau, Sinister l’est dès sa scène introductive – un plan fixe, sans aucun son, au grain grossier qui consume les contours et les détails. Ce bout de film de rien du tout est un trou noir : il n’émet rien d’intelligible et aspire toute forme de vie, d’allant. A la place, il instaure un étau morbide qui ne va cesser de croître autour des personnages. La règle d’or suivie par Derrickson est qu’il n’y aura pour ces derniers aucun moyen de se soustraire à la malédiction qu’ils ont mise en branle – son scénario est écrit avec assez de soin pour colmater toutes les brèches potentielles d’une manière respectueuse de l’intelligence du public. Il n’y a pas d’issue favorable car les humains sont trop faibles, inconscients et ignorants, pour lutter contre les puissances occultes qui ont décidé de faire d’eux leur dîner.

Le spectateur est ainsi entravé dans le rôle le plus abominablement exquis qui soit, celui de témoin impuissant du mal détruisant graduellement l’existence des héros. Sinister, qui porte bien son nom, marche dans les pas de ses deux influences majeures, l’une diffuse (Shining et son huis clos avec un romancier chef de famille sombrant dans la folie) et l’autre patente – Ring, et sa propagation du fléau par le biais des images de cinéma. La variation imaginée par Derrickson sur ce thème est rien moins que brillante. Elle exploite le format Super 8 à l’opposé de l’ode nostalgique de J.J. Abrams, en appuyant ses aspects anxiogènes (cf. la description du premier plan) et en dévoyant vicieusement sa banalité inoffensive à son profit (j’en reparle plus loin). Une fois que sa nature de système réfléchi et reconduit méthodiquement nous apparaît clairement, le principe de terreur par la vidéo qui est au cœur de Sinister nous explose au visage et nous met dans le même état d’affolement et de répulsion que le personnage principal. L’identification est totale, ce qui est une première condition pour un film d’horreur réussi. Derrickson en remplit une autre, d’égale importance et avec un savoir-faire analogue : la qualité de la mise en scène de la peur. Sur ce point, Sinister ne présente ni faille, ni laxisme. Il est fait d’un alliage de rigueur (dans la durée des plans, le montage des séquences) et de lyrisme lugubre – sa bande-son complexe et agressive, sa lumière superbement ciselée dans les scènes de pénombre – rare et puissant.

Brisant la routine confortable de l’esbroufe désincarnée dans laquelle se noie l’horreur moderne, Sinister sort également du lot parce qu’il atteste de la présence d’un esprit critique en état de marche. Il ne se contente pas de son efficacité effrayante, et introduit dans les intervalles de son récit un passager clandestin porteur d’une ambition malsaine : saper pernicieusement le modèle immaculé de l’american way of life. Le motif du cut brutal au milieu des films Super 8 est son arme la plus éclatante, parmi un arsenal très large puisque comprenant également les sujets des home movies en question, le statut social et familial des victimes des crimes, ou encore des dogmes tels que la pureté des enfants et la vision du déménagement comme acte positif et enrichissant. Toutes ces choses sont absorbées par le film, et transformées en éléments catalyseurs ou de preuve du programme horrifique déroulé sans contestation. Ce qui rend ce dernier encore plus profondément dérangeant, et durablement angoissant.

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