• Magic Mike, de Steven Soderbergh (USA, 2012)

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Où ?

À l’UGC Montparnasse

Quand ?

Mercredi, jour de la sortie, à 13h

Avec qui ?

MaBinôme

Et alors ?

J’ai à peu près tout dit des errements récents de Steven Sodebergh ici et . Une demi-heure durant, le temps de son fringant démarrage, Magic Mike fait poindre l’éventualité d’un retour à des jours meilleurs, quand Soderbergh réalisait de bons voire très bons films. Le sujet qui lui est arrivé entre les mains[1] est excitant, et pas seulement en surface pour celles et ceux que les hommes en string se déhanchant impudiquement affolent. En nous faisant pénétrer les coulisses d’un cabaret de strip au masculin, et en nous faisant assister sans persifflage au travail au quotidien qui le fait tourner, Magic Mike est sur les rangs pour rejoindre la grande et belle famille des films consacrés à des troupes de comédiens ou autres performers. Des œuvres qui brillent par leurs nombreux degrés de lecture (sur la pratique de l’art, la vie en communauté, le miroir tendu au monde, le dévouement à une passion…) et sont soulevées par l’élan d’une mise en scène en joyeuse osmose avec un thème qui parle évidemment au réalisateur. Cette seconde condition est remplie par Magic Mike. Soderbergh y retrouve une verve que l’on supposait tarie, un appétit de filmer pour exprimer quelque chose, donner vie à un monde, et non simplement pour s’accorder un plaisir onaniste d’enchaîner des plans d’esthète sans substance. Ses plans sont sophistiqués et éloquents, le montage est vif, la B.O. dépote de bout en bout et rend électriques les numéros de danse.

Dans cette ouverture du récit, le cinéaste paraît même découvrir les vertus du classicisme, une pratique dont il s’était toujours tenu à distance. Ce premier mouvement progresse avec une fluidité naturelle le long d’une ligne narrative claire à base de rencontres et de défis, et dont chaque étape agit comme une porte ouvrant plus en grand notre champ de vision sur un monde secret vivant en bordure du notre. On a le sentiment que se déroule devant nos yeux la version cinématographique d’une nouvelle d’apprentissage baroque et dépravé, avec ses figures de l’ingénu (le jeune Adam / Alex Pettyfer, qui va se retrouver presque malgré lui sur la scène du club), du tentateur (Mike / Channing Tatum, dans son rôle le plus ambivalent à ce jour – dans la première partie du film en tout cas), et du démoniaque maître des lieux (Dallas / Matthew McConaughey). Une fois les situations établies et les rôles distribués, Magic Mike a toutes les cartes en main pour suivre l’une ou l’autre des deux voies royales qui s’ouvrent devant lui. À sa gauche, être le pendant masculin du dernier grand long-métrage de Soderbergh, The girlfriend experience, avec le motif du sexe tarifé comme initiateur à une observation critique de la société moderne ; à sa droite, assurer une relève d’humeur floridienne au classique Meurtre d’un bookmaker chinois, en captant de l’intérieur les éclats de vie d’un groupe de marginaux talentueux à leur manière. De ces deux opportunités, le film n’en concrétise aucune, se laissant dériver sur le dos d’un scénario indolent et atone.

Dès lors qu’il s’agit de cultiver les graines semées, tout n’est plus que clichés, ellipses grossières pour couper court aux subtilités du récit, et recyclage d’éléments d’intrigue ayant depuis longtemps pris la poussière dans les placards des studios. Ni le scénariste, un certain Reid Carolin, ni Soderbergh ne cherchent à tirer de ceux-ci quelque chose de présentable, en termes d’enjeux humains ou d’intérêt propre aux différentes péripéties. Pour ne citer qu’un exemple parmi tant d’autres, la vague histoire des velléités de Mike de monter une entreprise « honorable » se résume à trois scènes où un unique speech est répété à l’identique. Face à ce degré de surplace et d’absence de développement, on ne peut que constater que Soderbergh est en réalité toujours coincé dans ce même mode flemme, même si sa mise en scène reste entraînante jusqu’au bout. Les personnages des films sont les premières victimes. Ici encore ils sont soit réduits à des archétypes abîmant leur potentiel de départ – Alex, Mike –, soit de simples engrenages narratifs accessoires (la sœur d’Alex, une véritable horreur qu’on dirait sortie d’une mauvaise comédie française misogyne), soit négligés par le scénario. Il en est ainsi de tous les autres strip-teaseurs et en premier lieu de Dallas, ridiculement sous-exploité alors que l’abattage génial de McConaughey offrait à Soderbergh un diamant flamboyant auquel ce dernier n’avait plus qu’à fournir l’écrin. Réduit au statut de faire-valoir, McConaughey embrase le film à chacune de ses apparitions par son aura et sa débauche d’énergie. On n’ose imaginer l’ampleur que le spectacle aurait prise si l’acteur s’était trouvé à la place qui aurait de toute évidence dû lui être dévolue, celle au centre de la scène.

La désinvolture qui règne donc sur Magic Mike est telle que le vent de puritanisme qui souffle dans sa conclusion ne mérite pas d’être prise trop au sérieux. Cette offensive tardive et ferme de la morale n’est qu’une façon de plus pour Soderbergh de jouer au petit malin, son travers favori. Avec la repentance de certains personnages et l’ostracisme infligé à d’autres, il brosse le prude public américain dans le sens du poil de manière suffisamment fine pour que ce dernier ne se rende pas compte de la manœuvre. Et fasse un triomphe au film, le plus rentable de 2012 : 110 millions de $ de recettes pour 7 de budget.

[1] après le désistement de Nicolas Winding Refn, premier choix de l’acteur-producteur Channing Tatum

3 réponses à “Magic Mike, de Steven Soderbergh (USA, 2012)”

  1. pim_pam dit :

    Je ne pourrais pas être plus d’accord (notamment sur la soeur d’Alex ! Elle a deux couleurs de jeu : le rire exagéré et la moue-Kristen-Stewart, et ne sait pas vraiment quand piocher dans l’une ou l’autre. Quel personnage vain.)
    Super critique

  2. D&D dit :

    Ouh la la, Soderbergh commence à m’énerver sévère. Et je trouve le scénario bien plus mauvais et malhonnête que simplement « indolent et atone ».
    Pour le reste, je suis bien d’accord avec vous, également sur le fait que le film passe lamentablement à côté du personnage de Dallas, même si c’est bien McConaughey qui me restera de ce naufrage.
    Dommage aussi que le scénario soit incapable de prendre réellement en charge le « kid » – tout obnubilé qu’il est par l’auto-célébration/rédemption de son Tatum -, il me semble que le jeune acteur qui doit s’en débrouiller pourrait aussi sortir du lot.

    • erwandesbois dit :

      « Indolent et atone » ne sont quand même pas les plus positifs des adjectifs ;-)
      En y repensant avec le recul, c’est vrai que ce qui est le plus gênant dans ce film est sa manière de n’autoriser qu’une seule porte de sortie valide au métier de ses personnages : l’expiation et le retour dans le « droit chemin », tels qu’accomplis par Tatum. Du coup, et Pettyfer et McConaughey sont plaqués sans ménagement, et c’est rageant.
      J’espère que le « Killer Joe » de Friedkin qui sort ce mercredi fera meilleur usage du talent du McConaughey nouveau.

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