• Drive, de Nicolas Winding Refn (USA, 2011)

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Où ?

Au ciné-cité les Halles, en avant-première

Quand ?

Un mardi soir, début septembre

Avec qui ?

MonFrère

Et alors ?

Depuis le début de sa carrière, le danois Nicolas Winding Refn est guidé par une attirance évidente pour l’éclat des lumières d’Hollywood. Tous ses films sont tellement imprégnés de cette emprise qu’on est presque étonné d’apprendre que Drive est son premier véritable long-métrage américain[1]. C’est aussi le premier où Refn n’a pas contribué au scénario. Il se fond complètement dans le moule, typique des films de genre hollywoodiens, du cinéaste talentueux qui accepte de n’être qu’un employé parmi d’autres au sein d’une production. C’est une très bonne nouvelle, car cela impose un coup d’arrêt à son ambition vaniteuse de jouer les héritiers de Kubrick qui surchargeait ses derniers films Bronson et Valhalla rising. Refn est-il pour autant capable de procurer le plaisir direct qui est l’alpha et l’oméga d’une bonne série B ? Il semble que c’est encore trop lui demander.

Refn dispose pourtant d’un atout inestimable à bord de son bolide, avec la présence de Ryan Gosling dans le premier rôle. L’acteur, que l’on savait bon (voir récemment Blue valentine), se révèle en réalité très, très, très bon. Le personnage qu’il interprète dans Drive est fidèle en caractère à ses prédécesseurs dans la lignée des « hommes sans nom » : mutique, respectant scrupuleusement ses routines professionnelles, limitant au minimum ses relations avec d’autres êtres et l’expression de ses sentiments (et le payant au prix fort lorsqu’il s’écarte de cette règle). A partir de ce matériau connu, Gosling crée une composition formidable d’épure et de repli à l’écart du monde, du film. Il invente un personnage qui intériorise tout à l’extrême et ne laisse transpirer des émotions que dans un état extraordinairement bridé. Mais il le fait d’une manière inverse à tout ce qui se rapporte de près ou de loin à du non-jeu. Gosling respecte la phénoménale retenue affective du héros qu’il joue et dans le même temps nous fait ressentir chacune des infimes variations perceptibles de son humeur, de ses résolutions. Autant de frémissements dont on saisit qu’ils sont la face émergée de commotions intérieures majeures. Le jeu de Gosling atteint des sommets bouleversants lorsque les circonstances extérieures poussent son personnage à bout – renoncement conscient à une histoire d’amour à peine éclose, recours soudain et radical à la violence physique de la pire espèce. On se retrouve face à une performance d’acteur stratosphérique, assurément l’une des plus épatantes de l’année.

Il est plus ardu d’en dire autant du film qui sert de terrain de jeu au comédien. Le scénario et la mise en scène ne donnent entière satisfaction que sous la contrainte, dans des situations de pur genre strictement balisées. La scène pré-générique en est un très bel exemple. Le script a alors une mission claire (présenter le héros, son environnement, son don), même chose pour la réalisation qui se doit de coller aux mouvements furtifs et soigneusement minutés de la voiture conduite par le héros, pour permettre à deux voleurs de fuir sans encombre les lieux de leur cambriolage ; dans ces conditions, toutes les pièces s’ajustent sans accroc et le moteur de série B carburant au mélange suspense / tension tourne à plein régime. D’autres accélérations tranchantes suivront au cours du film, dès lors que Refn trouve dans son cadre un point précis sur lequel fixer sa réalisation – le décor urbain de la toujours aussi cinégénique Los Angeles, la violence physique des affrontements entre personnages qui inspire à chaque fois des visions fulgurantes au cinéaste.

Mais la puissance à l’impact tout à fait « Tarantinienne » qui jaillit dans ces occasions ne trouve pas son prolongement au cours du reste du film. Dans la conduite du récit, le développement des personnages, la gestion des moments en creux, Drive dégage l’impression gênante d’être trop ouvertement conscient de ce qu’il est en train de faire. Refn et son scénariste Hossein Amini jouent à faire un film noir qui sait qu’il vient après tous les films noirs, et les codes et motifs tant visuels (l’esthétique qui pastiche les eighties) que narratifs (doubles trahisons et romances maudites à la chaîne) accumulés par ceux-ci au fil des années. Ils copient ces formules avec une virtuosité manifeste mais à laquelle n’est pas franchement associé de supplément d’âme, de passion franche pour le matériau. C’est le même piège que celui dans lequel il arrive aux Coen de tomber (cf. True grit). Le résultat est un film joli à regarder, pas désagréable à suivre, mais où subsiste d’un bout à l’autre une mise à distance émotionnelle impossible à combler. Un film un peu trop malin pour être franc.

[1] L’amusant polar parano-schizo Inside job, avec John Turturro et coécrit par Hubert Selby Jr., l’était en partie seulement

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