• Cars 2, de John Lasseter (USA, 2011)

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Où ?

Au ciné-cité les Halles, en avant-première en présence du réalisateur John Lasseter

Quand ?

Jeudi soir, à 20h

Avec qui ?

MonFrère

Et alors ?

Comme tout le monde, quand il s’exprime en public John Lasseter dit parfois des âneries : avant la projection de Cars 2, il nous a ainsi gratifié d’une reprise personnelle du fameux refrain démago « je ne fais pas des films pour les critiques de cinéma, mais pour le public », la ritournelle favorite de nos deux fleurons nationaux Luc Besson et Dany Boon. Mais il dit aussi des choses intéressantes, par exemple quand il avance que chez Pixar la mise en chantier d’une suite d’un film n’est pas affaire de retour sur investissement, mais d’envie personnelle. Les deux précédents à Cars 2 soutiennent cette affirmation : Toy story 2 et 3 cherchaient chacun à sa manière à se particulariser en profondeur, au lieu de se contenter de quelques ajustements d’ordre cosmétique. L’année dernière, le troisième épisode n’y parvenait que partiellement mais dix ans plus tôt, Toy story 2 constituait un film tellement accompli et admirable que c’est bien cette suite qui avait fait rentrer Pixar dans la cour des très grands, sans plus aucune réserve à propos du mode de fabrication des films. Cars 2 aspire à reproduire le même tour de force vis-à-vis de son premier volet : s’en servir comme tremplin pour s’élever de plusieurs rangs, et devenir un film aux ambitions et aux réussites bien plus épatantes.

Au regard de ses objectifs annoncés, la mission est un succès magnifique. Cars 2 fait l’époustouflante démonstration que dorénavant, plus rien ne peut résister ou se refuser au cinéma d’animation. Pixar a maintenant les moyens de concevoir n’importe quel type de scène, s’inscrivant dans n’importe quel genre cinématographique, impliquant autant de personnages, de péripéties spectaculaires, de décors différents qu’ils le désirent. Le tout sans perdre une once de lisibilité dans l’action, de fluidité dans le récit, de beauté et de complexité dans l’image. Le patchwork qui sert de trame au scénario (une histoire de carburant propre alternatif au pétrole, aux multiples points d’entrée : compétition automobile internationale, complot machiavélique, comédie d’espionnage avec agents secrets et quiproquos…) sert surtout de base à un feu d’artifice ininterrompu de séquences renversantes et incroyablement variées. Ici des courses automobiles où les bolides sont lancés à toute allure sur des circuits dont la démesure fantasmée rappelle le jubilatoire Speed racer, là d’amples scènes d’action qui se prolongent de longues minutes durant, en sachant constamment se réinventer et réaccélérer jusqu’à leur éclatement final – l’ouverture sur la plate-forme pétrolière offshore donne sans attendre le ton des festins à suivre.

Même dans les moments où le scénario est un peu plus calme, on peut compter sur l’euphorie de la mise en scène et de la confection des décors face à leur potentiel sans limites pour soutenir l’exaltation du film. De Tokyo à Paris et de « Porto Corsa » (un mix entre Monte-Carlo et un petit village italien) à Londres, la claque visuelle donnée par Cars 2 est à la puissance quatre. Ce sont quatre environnements très distincts les uns des autres que l’équipe de Pixar a réinventés avec un même niveau fabuleux de détail, de créativité, et un même respect pour l’identité du lieu servant de référence. On n’est ni dans la caricature taillée à la serpe, ni dans une vision du monde déformée par le regard du touriste, et c’est bien agréable. A la réalisation, John Lasseter s’accorde lui aussi son lot de plaisirs qui deviennent les nôtres, maintenant que tous les axes de prises de vue et tous les découpages sont possibles sans sacrifice. Les multiples jeux avec les codes et motifs visuels traditionnels du film d’espionnage, ou encore une séquence de cauchemar très réussie en apportent la preuve.

Cars 2 est plus inégal dans son propos. Très intelligent et engagé sur certains sujets, il se laisse aller à côté de cela à une beaufitude voyante et désinhibée. Martin (Mater en V.O.), le sidekick bas de plafond du premier film, est désormais un redneck abruti encore plus accompli – en même temps qu’il est promu au rang de co-héros de l’histoire, au sein de laquelle il a une importance au moins égale à celle de n’importe quel autre protagoniste. Ses démonstrations de bêtise d’écervelé sortant pour la première fois de son trou paumé sont insupportables, de même que le succès moral final qui lui est accordé. Le thème de l’idiot du village au grand cœur, qui mérite pour cela d’être estimé, n’est pas invalide en soi mais la manière de l’amener dans Cars 2 l’est, sans équivoque. Plus insidieux, le rapport irréfléchi du film à la violence me dérange également. Cars 2 affiche sur ce point une désinvolture rappelant celle des films d’action américains de la période triomphante des années 80-90, avec des méchants qui tombent comme des mouches sous les balles des gentils sans que cela ne vienne émousser la bonne humeur de ces derniers. L’étalage jovial des armes létales employées, des mitrailleuses aux missiles, est embarrassant, tout comme le raisonnement à géométrie variable de Pixar quant au statut de ses personnages. Ayant supposément pris en tous points la place des humains dans le monde alternatif de Cars (ils parlent, ont des émotions, un genre sexuel, une fonction dans la société, etc.), ils redeviennent des voitures quand cela arrange les concepteurs du film qui peuvent ainsi filmer leurs morts comme de la simple casse automobile. C’est soit malhonnête, soit inconscient.

C’est surtout dommage, car bien que porteur de tels défauts très américains Cars 2 parvient à se montrer convaincant dans sa critique d’autres maux de son pays. Loin de la gaucherie et du simplisme qui lestaient Wall-E, la précédente tentative de film à message de Pixar, les assauts entrepris par Cars 2 ne souffrent d’aucun travers pouvant les neutraliser. Il y a cette fois-ci un beau mélange de solidité et de cran à l’œuvre, dans les piques subsidiaires – l’éreintement de la chirurgie esthétique qui uniformise les physiques, par l’allégorie des bosses sur les carrosseries – comme dans la cible principale de l’engagement du film, le lobby pétrolier qui est attaqué aussi frontalement (et justement) que possible. Si on le compare à son rival Dreamworks de l’été, Cars 2 surclasse largement Kung-fu panda 2 là où ce dernier est pourtant le plus à son avantage – virtuosité de la mise en scène, vitesse d’exécution de l’action – tout en se fendant d’une dimension cérébrale et critique absente dans le camp d’en face. Il n’y a pas photo, mais on sait depuis longtemps maintenant que c’est à lui seul que Pixar se mesure. Et dans cette compétition-là, Cars 2 a les arguments pour être le film du studio le plus marquant depuis Les indestructibles… mais aussi des défauts sur lesquels il est difficile de fermer les yeux.

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