• Speed racer, de Andy et Larry Wachowski (USA, 2008)

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Où ?
A l’UGC George V, dans une petite salle où le film passe une séance sur 2… alors qu’il n’est encore qu’en 2è semaine d’exploitation

Quand ?
Lundi soir, pendant la fête du cinéma (qui semble ne pas faire recette. Trop tard au mois de juin ? Trop de soleil ?)

Avec qui ?
Mon frère, et une vingtaine de curieux

Et alors ?

L’itinéraire des frères Wachowski, de l’ouragan Matrix qui les a placés un temps – celui du changement de millénaire – sur le toit du monde cinématographique au crash de ce
Speed racer (20 pauvres millions de $ aux USA, pour un budget estimé à 200 millions), est un cas d’école. Forcément unique, il symbolise également de manière presque caricaturale
l’impossibilité de faire coïncider sur le long terme les trajectoires de la recherche artistique ambitieuse et du succès public massif. Celles-ci semblent pouvoir se croiser au mieux une
fois : Matrix pour les Wachowski, comme en son temps Citizen Kane pour Orson Welles (il n’est pas ici question de comparer les œuvres de ces
réalisateurs ; uniquement leurs parcours, qui paraissent embarqués sur des chemins également chaotiques).

Car oui, Speed racer est au moins aussi ambitieux que Matrix. La trilogie qui a rendu les Wachowski riches et célèbres s’était conclue en queue de poisson avec un
3è épisode perdant son temps – et le nôtre – dans les échafaudages rébarbatifs de l’envers du décor de la Matrice. Speed racer est une nouvelle matrice (on trouve d’ailleurs ça et
là des clins d’œil malins d’un film à l’autre : un micro bullet time, une scène de kung-fu ultra chorégraphiée, une cascade de symboles digitaux qui vient recouvrir le visage d’un
personnage), sans monde extérieur autour cette fois. L’escroquerie des Wachwoski vis-à-vis des studios a consisté à peindre cette Matrice en jaune et rose fluo, et à affubler le héros non plus de
rebelles terroristes vêtus de noir mais de seconds couteaux régressifs – son petit frère débile et un singe domestique – ou porteurs d’une idéologie de famille unie, aimante et soudée dans
l’adversité digne du plus niais des films tous publics.

Que les réalisateurs souscrivent ou non à cette morale n’est absolument pas la question ici ; l’important était d’obtenir le budget. Je m’aventurerai quand même à penser que les Wachowski
sont toujours aussi réfractaires à ce genre d’idées qu’il y a 10 ans de cela. Le cheminement personnel de Speed Racer, héros du film éponyme, est en effet tout aussi équivoque que celui de Neo
dans Matrix. Pour l’un comme pour l’autre, il s’agit d’apprendre à maîtriser la brutalité et les coups bas dont font preuve les adversaires pour s’assurer la victoire, quel qu’en
soit le prix. Le questionnement moral inhérent à une telle attitude n’est même pas effleuré. Et si les films des frères Wachowski continuent à ne tuer (presque) personne, la violence est
omniprésente dans Speed racer, au sein des courses – il ne se passe pas 3 plans sans qu’un pilote se fasse éjecter de la piste par un concurrent dans un grand fracas de tôle -
comme autour, où de grands trusts automobiles se livrent une guerre sans merci pour le pouvoir économique total.

Les courses, venons-y. Elles sont l’unique raison d’être du projet, et leur réalisation suit un objectif qui paraîtra limpide aux amateurs de longue date de jeux vidéo : reproduire sur grand
écran les sensations, les émotions, la démesure que génèrent les meilleurs jeux de courses automobiles sur consoles. L’univers technoïde et les bolides supersoniques de Wipeout, les
gadgets extra-sportifs de Mario Kart, le mauvais esprit de Destruction derby, l’immensité outrancière des circuits et de leurs embûches de Track mania :
Speed racer est la synthèse rêvée des plus belles formes et idées sur lesquelles sont fondés les classiques du genre. Il n’y a qu’à voir comment les Wachowski donnent d’entrée le
ton en transposant dans la grammaire cinématographique le concept purement vidéo-ludique de ghost (une voiture fantôme, immatérielle, qui parcourt le circuit en reproduisant la
trajectoire ayant conduit au meilleur temps au tour ; ici, ce fantôme se double d’un autre puisque le record après lequel court Speed a été réalisé par son grand frère mort dans un
accident : il en découle une séquence d’ouverture vertigineuse, hallucinante dans tout ce qu’elle entreprend) pour comprendre qu’ils maîtrisent leur sujet sur le bout des doigts, et que les
2 heures à venir ne seront que pur plaisir. Là est le gouffre qui sépare Speed racer et ses réalisateurs des pathétiques blockbusters qui prennent en marche le train de la mode
geek (et ils sont déjà nombreux à se bousculer cet été, d’Iron man à Indiana Jones 4) : ces derniers poursuivent
un but exclusivement commercial, alors que les Wachowski sont les seuls véritables artistes de cette avant-garde virtuelle, dématérialisée, réfractaire à l’ordre établi. Au passage, ce sont les
seuls ou presque à comprendre qu’un fond vert ne sert à rien s’il est utilisé pour recréer la réalité et non pour servir de base à un imaginaire.

Pour s’approcher au plus près de l’adrénaline ressentie lorsque l’on a la manette en main, et pour embarquer également dans l’aventure ceux qui n’en ont jamais tenu une (de manette), les
Wachowski poussent dans ses retranchements la puissance visuelle du cinéma. L’absence d’interactivité se voit transformée en atout : puisqu’il n’est plus nécessaire qu’un humain soit en
mesure, par ses manipulations sur une manette de jeu, de vaincre le tracé et les adversaires, on peut exagérer au maximum la difficulté du premier et le talent des seconds. Dès lors, de virages
en S sans fin en dépassements en dérapage qui passent au millimètre, le spectacle est permanent. La mise en scène est au diapason, avec une sensation de vitesse sidérante, des couleurs brillant
de mille feux et les décors d’autant de détails. Surtout, grâce à une science hors pair du découpage et des variations de cadrage (entre plans larges couvrant de vastes portions du circuit et
gros plans extrêmes sur les visages des comédiens en surimpression de l’action qui se déroule en arrière-plan), la lisibilité de l’action est totale. La somme délirante d’informations visuelles
qui est transmise à chaque plan ne donne ainsi pas naissance à une bouillie indigeste, mais à un trip ahurissant, virtuose – et qui atteint pleinement son but de nous faire nous agripper à notre
siège de cinéma transformé en siège-baquet.

J’ai parlé plus haut de culture geek ; si Speed racer est principalement orienté jeux vidéo (devenant au passage la plus belle transposition de cet art au cinéma,
aux côtés du tout aussi conceptuel Avalon), il représente également un agrégat foisonnant de tout ce qui se rattache à cette culture. Le spectre couvert est large, des mangas
papier à leurs versions animées en passant par les comédies chinoises de kung-fu. Il reste pourtant tout à fait cohérent d’un bout à l’autre, chaque élément trouvant sa place dans le tableau
d’ensemble de manière presque plus limpide que dans Matrix. Comme ce dernier, Speed racer est un véritable film-manifeste, qui assume fièrement ses origines, ses
aspirations, sa différence. C’est alors tout sauf une surprise d’entendre certains dialogues mis dans la bouche des personnages sonner comme une profession de foi explicite des frères Wachowski
sur l’affirmation de soi et la magie de la création artistique.

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