• Les sorties fictives de l’été (2) : My soul to take, de Wes Craven (USA, 2010)

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Où ?

À la maison, en DVD

Quand ?

Vendredi soir

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

Le cas de My soul to take est très différent de celui des Three stooges évoqué ici. Sa sortie en salles est presque plus surprenante que l’aurait été un aller simple vers les bacs à DVD. Le cinéma d’horreur est coutumier de ce genre de mésaventure, particulièrement en France où le manque de reconnaissance et d’intérêt est conséquent. My soul to take n’aurait été ni le premier ni le dernier, et pourtant le voilà qui passe fugitivement par nos salles, trois ans après son tournage, pas loin de deux après sa distribution aux USA, et même… un an et demi après la découverte de Scream 4, le film suivant de Wes Craven ! Cette dernière donnée aurait dû porter le coup de grâce à My soul to take, en plus de la qualité aléatoire de ce dernier et de l’historique tourmenté de sa production. Mais il faut croire que quelqu’un de suffisamment influent tient absolument à ce que tous les longs-métrages de Craven aient l’honneur des cinémas français, ou à tout le moins d’un seul – le Publicis à nouveau, comme pour The three stooges. (Aujourd’hui, dans sa deuxième semaine, My soul to take ne passe plus qu’à la séance de 14h).

My soul to take s’est retrouvé embarqué sur le chemin de croix tristement ordinaire des œuvres pestiférées d’Hollywood, conséquence de projections-tests négatives et de coups de sang de producteurs courroucés. Réécriture du scénario, tournage de nouvelles scènes, charcutage du montage, la punition est immuable depuis l’aube du cinéma. Elle aboutit pourtant à des résultats toujours aussi boiteux, l’essence du film étant abîmée sans restauration possible et sans que cette perte soit rachetée par autre chose d’équivalent. La brutalité zélée et aveugle du remède de cheval transparaît de manière évidente dans le cas de My soul to take. Le film s’est vu rattrapé par son astuce inaugurale de s’être faussement vendu comme un slasher, laquelle a été retournée contre lui – en faire un vrai slasher, pour tenter de le rendre plus vendeur. L’ouverture et la clôture du récit ont de toute évidence été le siège principal de ces profanations : crayonnées à gros traits, hystériques, surchargées en clichés et en coups de théâtre hâtifs, et par-dessus le marché raccommodées très vilainement au reste de la trame, elles tirent le film vers les tréfonds de la mauvaise horreur par ses deux extrémités.

Mais entre les deux, une heure durant, My soul to take est, d’assez loin, ce que Craven a fait de meilleur depuis qu’il a consenti à réaliser Scream, pacte faustien qui l’a vu mettre son savoir-faire horrifique au service de l’avilissement du genre par le cynisme. Comme à l’époque de ses immenses œuvres fondatrices, La dernière maison sur la gauche et La colline a des yeux, en mode plus mineur, le cinéaste met la terreur au service du développement de personnages complexes et captivants, par la mise à nu de leurs failles secrètes, leurs infirmités qui mettent à mal la possibilité de leur intégration à la société. C’est ici de l’adolescence dont il est question, éternel sujet que My soul to take traite avec une finesse peu commune, sans rien à envier aux films d’auteur s’autoproclamant incisifs et définitifs sur le thème.

Craven n’a à chaque fois besoin que d’une scène, où les codes de l’horreur viennent parasiter la netteté du monde ordinaire (essentiellement figuré dans le film par le cadre du lycée), pour marquer les esprits avec l’idée qu’il veut faire passer. Ici le fait que passer à l’âge adulte, c’est sauter dans l’inconnu car c’est accepter de devenir un autre que l’individu que l’on connaît ; là la révélation que les grandes personnes n’arrêtent pas réellement d’avoir peur, qu’elles font simplement semblant, toutes autant qu’elles sont. Par l’incarnation donnée à ses adolescents, la justesse de certains dialogues, le malaise diffusé par la mise en scène dans des situations où on ne l’attendait pas, My soul to take est alors la promesse d’un beau film cérébral et torturé, qui n’aura pas droit à la maturation qu’il mérite. Le genre de films que Craven affectionne de faire par-dessus tout, mais que l’industrie n’a jamais voulu recevoir de sa part. Avec son dédoublement de personnalité entre désordres intimes des êtres et mécanique inerte du slasher, My soul to take est à lui seul un résumé de cette carrière réprimée.

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