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- La guerre des mondes, de Steven Spielberg (USA, 2005)
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Où ?
A la maison, en DVD zone 2
Quand ?
Mercredi soir
Avec qui ?
MaFemme
Et alors ?
Films de la décennie 2000-2009, acte 1. Avec Southland Tales, La guerre des mondes est
possiblement le membre le plus discutable de cette sélection. Le film, même s’il a fait ce que l’on attendait de lui au box-office (230 millions de dollars de recettes aux USA, presque 600
millions dans le monde), est loin d’avoir déchainé les foules – par exemple, il n’atteint qu’une moyenne de 6,6 sur IMDb, alors que les blockbusters y obtiennent souvent des notes flatteuses. Beaucoup de gens en ont « voulu » à Spielberg pour son
épilogue serein, apaisé. Pourtant, celui-ci n’est pas outrancier dans sa forme (du genre embrassades exubérantes, musique et mise en scène grandiloquentes) et il n’annule en aucun cas les
catastrophes survenues auparavant, qu’elles soient d’ordre global – les millions de morts, les dégâts matériels inconcevables – ou intime – le héros Ray, joué par Tom Cruise, qui n’obtient aucune
récompense supplémentaire pour sa bravoure et va selon toute vraisemblance retourner à sa vie solitaire et insignifiante, exactement comme le personnage de John Wayne à la fin de La
prisonnière du désert. Par ailleurs, si Dieu est explicitement cité dans l’épilogue prononcé par la voix-off, le message de La guerre des mondes peut tout aussi bien être
vu comme un avertissement écologique percutant, cinq ans avant Avatar (et en moins simpliste dans son expression).
Pour faire le lien entre cette fin porteuse de sens et les deux premiers tiers du film, guidés uniquement par un sentiment de terreur pure et un instinct de survie immédiate, le scénario de
La guerre des mondes doit en passer par des changements de direction assez brutaux. Le refuge trouvé dans la cave où se terre le fébrile et détraqué Harlan Ogilvy (Tim Robbins,
dans un surprenant contre-emploi) vient une première fois casser – volontairement – le rythme ; le changement soudain de comportement des Tripodes complète ensuite le revirement de
l’histoire. Cette impureté du scénario est plus la règle que l’exception chez le Spielberg des années 2000 – A.I., Minority report, Munich
contiennent leurs propres manifestations du phénomène. Qui fait de ces films des objets vivants, mouvants, poreux à différentes atmosphères plutôt qu’enfermés dans le carcan strict d’une intrigue
à raconter ; n’hésitant pas à ballotter le spectateur et à l’entraîner de force sur des chemins sauvages, plutôt que cherchant à le ménager et le bercer.
La première heure de La guerre des mondes n’est d’ailleurs elle-même homogène que sur un point – toutes les situations qui y sont exposées donnent à voir un désastre à grande
échelle, qui frappe une foule dans sa globalité. Mais ces épisodes successifs sont accolés les uns aux autres comme autant de blocs, sans progression scénaristique ni similarité dans le
contexte. Ouverture de la croûte terrestre comme d’une gueule béante, foudre tombant du ciel, crash d’avion, hystérie collective autour d’une arme à feu, mouvement de foule sur un bateau en passe
de chavirer : c’est un panorama terrible, éclectique et exhaustif, des cataclysmes que sillonne Spielberg. La seule cohérence de ce parcours est dans le caractère cauchemardesque de ces
étapes.
La guerre des mondes est par conséquent un récit de guerre autrement plus réaliste que ne pouvait l’être Il faut sauver le soldat Ryan. Rien n’y est anticipable
dans la manœuvre d’invasion par les aliens autant que dans les retournements de situation qui suivent, et ce d’autant plus au niveau des civils tels que Ray et ses deux enfants. Ils subissent les
évènements de A à Z, et nous avec eux ; car jamais Spielberg ne nous donne ne serait-ce qu’une fraction de seconde d’avance sur ses personnages. L’effet de stupéfaction, d’effarement face
aux fléaux qui s’abattent sur eux atteint dès lors une magnitude devenue rarissime au cinéma. Ce refus de nous allouer un quelconque traitement de faveur nous ramène à un rapport primitif au
cinéma, d’infériorité totale et donc de panique totale, à l’image de celle que le public des tous premiers films des frères Lumière ressentait et qui les faisait fuir dans la direction opposée à
l’écran.
La guerre des mondes est d’ailleurs quasiment muet ; l’intensité des visions, des destructions n’est quasiment pas diluée dans les mots, elle nous est administrée sous sa
forme la plus brute. [Et même lorsqu’il doit se fendre d’une scène d’exposition ou de liaison entre deux sections, Spielberg s'applique à ne pas lever le pied : le plan-séquence à couper le
souffle dans et autour de la voiture fonçant sur l’autoroute, la rivière de cadavres…]. Le don du cinéaste pour utiliser les effets spéciaux dans le cadre de leur fonction première – surprendre
le spectateur et lui faire accepter que quelque chose d’improbable vienne altérer son monde – est, bien sûr, une fois de plus exploité à la perfection. Mais il n’est plus question de vendre du
rêve, ou un grand huit dont les quelques soubresauts servent uniquement un but de divertissement. La première action des aliens en débarquant sur Terre est d’exécuter un nouvel holocauste (les
humains réduits instantanément en cendres par les lasers des Tripodes) ; une tentative de fuite en ferry n’aboutit qu’à une recréation du naufrage du Titanic ; le formatage de la Terre à leur
convenance par les aliens se traduit par la représentation dantesque d’un monde uniformément rouge sang. Les images de synthèse et leur pendant matériel, les effets élaborés sur le tournage, se
retournent ainsi contre leurs créateurs, nous, et dressent un portrait définitif et froidement réaliste de notre destruction. Et le script leur emboîte le pas : les quelques tentatives de
reformation d’un lien social entre individus se soldent immanquablement par un meurtre. La guerre des mondes est un point final, une falaise à pic au-dessus du néant.