• Jason Bourne : l’héritage (The Bourne Legacy), de Tony Gilroy (USA, 2012)

Je like cet article sur les réseaux sociaux de l'internet!

Où ?

Au ciné-cité les Halles, dans l’une des trois grandes salles

Quand ?

Jeudi soir, à 21h

Avec qui ?

MaBinôme

Et alors ?

Le film qui se cache derrière l’horrible titre en V.F. Jason Bourne : l’héritage paraît condamné d’avance à n’être qu’un mouton de plus dans le troupeau bêlant et filant droit des blockbusters de ce morne été qui s’achève. Hollywood ne jure plus que par les franchises, et l’exploitation jusqu’à la dernière goutte de filons déjà découverts (le menu best-of Avengers, les énièmes épisodes de Madagascar, L’âge de glace, Batman) ou leur réactivation au moyen de purs artifices – le reboot de Spider-Man. Parce qu’il se trouve au confluent de ces deux exaspérantes méthodes, The Bourne Legacy (en V.O.) est particulièrement tiré par les cheveux. Il vient chronologiquement à la suite des trois films où officiait Matt Damon, mais remet thématiquement les compteurs à zéro en rejouant la même histoire que le premier d’entre eux – un super-agent de la CIA qui devient soudain l’homme à abattre, et se lance dans une fuite désespérée pour sauver sa peau.

C’est bien parce que le concept de départ est à ce point fabriqué de toutes pièces que le distributeur français n’a pas trouvé le moyen de poursuivre la logique des titres des précédents épisodes (La mémoire dans la peau, La mort dans la peau, La vengeance dans la peau). Mais à force de tripatouillages de savants fous réalisés à tort et à travers dans le code génétique des films, il arrive qu’émergent de nouvelles espèces improbables et excitantes, viables justement car leurs créateurs sont allés au bout de leur aberrante idée. C’était au début de cette saison le cas de Prometheus, qui se servait son statut officiel de prequel d’Alien comme d’un passe-droit pour piller les rayonnages de la science-fiction, et faire se consumer son butin dans un grand feu de joie nihiliste et spectaculaire. L’excès de The Bourne Legacy est d’une autre nature. Tony Gilroy, scénariste de la série qui y ajoute cette fois la casquette de metteur en scène, tire l’univers qu’il a créé vers l’abstraction, à tous les niveaux. Il n’y a ainsi plus un (celui ayant engendré Bourne), ni deux (celui mis en place dans La vengeance dans la peau pour tuer Bourne), mais potentiellement une infinité de projets secrets de la CIA ; et dans leur mécanique interviennent des détails tels que ces pilules données aux espions et réduits à un code couleurs – il y en a des bleues, des vertes, des jaunes. The Bourne Legacy assume tellement la fragilité des fondations de son histoire que ses références sont à chercher du côté des séries tv ou des jeux vidéo, deux mondes qui possèdent chacun un moule dans lequel se fondrait très bien le film. Il s’agit respectivement du spin off et du stand alone, qui sont au fond la même chose – des chemins de traverse partant d’un contexte connu et estimé, mis entre parenthèses le temps d’une aventure annexe.

L’opportunisme de la manœuvre est patent (on se sert d’un nom solidement établi pour vendre autre chose), mais cela n’empêche pas les bonnes surprises car c’est l’occasion de tenter d’autres choses, dans un cadre plus libre car allégé du besoin d’énoncer les règles du jeu. Le caractère très affirmé de « film de scénariste » de The Bourne Legacy en fait une de ces bonnes surprises, par le renforcement de sa proximité avec les séries et les jeux vidéo. Plus qu’une intrigue traditionnelle de long-métrage, Gilroy a élaboré une succession de scènes amples et complexes, qui fonctionnent de manière presque indépendante, comme les épisodes d’un feuilleton ou les niveaux d’un jeu, et sont reliées entre elles par le même genre de fil ténu. Chacun de ces épisodes est une équation à multiples inconnues, que Gilroy fait se résoudre en direct, dans le feu de l’action. Il gère superbement les changements de dynamique entre les différentes forces en présence, personnages traqués, chasseurs, et public devant l’écran, donnant l’ascendant aux uns, maintenant les autres dans l’ignorance, puis redistribuant soudain toutes les cartes.

Le ton est donné dès la séquence d’ouverture, marathon médusant où, par la magie d’un montage alterné effréné, se reconstitue un puzzle à partir de ses pièces éparses. La suite du scénario restera tout aussi dense et ambitieuse. Au Meccano de suspense, cérébral et instable, s’ajouteront en plus sur la durée un beau duo de héros aux histoires passées simples mais efficaces (le nouvel agent, Aaron Cross, à mes yeux plus intéressant et touchant que Jason Bourne) ; et un arrière-plan d’anticipation technologique bien senti. L’inspiration de celui-ci est clairement à chercher du côté du jeu vidéo – tiens donc – Deus Ex, ses humains améliorés et son attirail militaire de plus en plus sophistiqué et affranchi d’une présence humaine. The Bourne Legacy n’invente rien de renversant mais accomplit un solide travail de synthèse de ce que la pointe du présent et le futur proche ont en réserve, comme l’avait fait Ennemi d’état en son temps (il y a quinze ans déjà). Gilroy réussit tout ce qu’il incorpore à son scénario, jusqu’à l’existence fantomatique de Jason Bourne. Celui-ci n’est ni tout à fait présent, ni complètement occulté, mais évolue juste à l’extérieur des limites du champ de vision du récit. L’idée est originale, et stimulante. Une autre histoire de Jason Bourne se déroule en même temps que celle que nous suivons, et s’il y en a deux, il pourrait bien y en avoir des dizaines.

Gilroy se montre moins à l’aise dans sa mise en scène, qui connait quelques ratés lors des flambées d’adrénaline. On n’a de toute évidence pas affaire à un grand réalisateur d’action, et quand elle surgit cette dernière est toujours un peu confuse, empâtée. Mais c’est un réalisateur qui a su s’entourer de suffisamment de talents hollywoodiens pour compenser ses propres lacunes formelles, et assurer en toutes circonstances la qualité d’ensemble du film : Robert Elswit à la photographie, James Newton Howard à la musique, Jeremy Renner et Rachel Weisz au casting. Et puis ces scènes d’action pure restent assez rares, car l’intelligence et non la force est ici au pouvoir. La priorité des protagonistes est d’éviter les confrontations directes, de toujours inventer un autre moyen de s’en sortir. Ce qui fait de The Bourne Legacy un film où la fuite en avant est impérative, dans la lignée d’un Minority report, avec l’espoir de trouver le répit, plus encore que la victoire, au bout de la chevauchée.

Laisser un commentaire