• The dark knight rises, de Christopher Nolan (USA, 2012)

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Où ?

A l’UGC Normandie

Quand ?

Mardi soir, à 21h30

Avec qui ?

MonFrère

Et alors ?

[Warning, spoilers ahead]

« You either die a hero, or live long enough to see yourself become the villain ». Par la magie malveillante des nécessités commerciales d’Hollywood, le Batman de Christopher Nolan aura finalement connu les deux destins mis en opposition par cette réplique qui était au cœur de The dark knight. Le dénouement de ce dernier le faisait mourir symboliquement, en le condamnant à devenir un paria aux yeux du monde car la cause qu’il défendait exigeait un tel sacrifice de sa part. À l’époque, face à cette scène d’une noirceur exceptionnellement définitive pour un film de ce calibre, l’hypothèse d’une suite apportée aux aventures du Chevalier Noir paraissait tout sauf viable. La loi du marché en a décidé autrement, et voilà Batman ressuscité avec comme prétexte l’arrivée dans le quartier d’une nouvelle racaille mégalomaniaque, le molosse masqué Bane, et comme mandat véritable la réalisation du même carton au box-office que son prédécesseur.

Il est envisageable que cette mission soit à l’origine du premier des deux gros accrocs de The dark knight rises – son absence presque totale de prise de risque. Personne n’aurait pu prévoir le succès colossal du précédent volet, à commencer par Nolan lui-même qui avait fait son film les coudées franches, l’esprit libre de toute arrière-pensée, uniquement concentré sur l’aboutissement de l’histoire qu’il avait en tête. Propulsé sans l’avoir ambitionné dans la minuscule liste des rois de l’entertainment, des réalisateurs de blockbusters ultra-rentables, il se voit contraint de réitérer un coup qui n’a rien de rééditable. D’ailleurs, une part du film est passée à louvoyer avec cette attente écrasante et les lourdes responsabilités qu’elle implique. Hormis dans la grande distribution de mandales finale, Nolan cherche constamment des solutions pour faire de Batman / Bruce Wayne un second rôle de son propre film, un spectre qui en parcourt les marges car il n’a plus sa place en son centre. Il n’est pas le seul à se voir déclassé de la sorte, d’autres piliers de longue date de l’intrigue – Alfred, Gordon – sont eux aussi intentionnellement mis sur la touche. Nolan regarde ouvertement ailleurs, comme si dans son esprit il tournait non pas une conclusion mais déjà un épisode de transition ou un reboot. Pour cette raison, et même s’ils semblent déjà dans un autre film, plus jeune, plus cool, les petits nouveaux joués par Joseph Gordon-Levitt et Anne Hathaway sont ce qu’il y a de mieux à l’écran…

…mais ils souffrent autant que le reste des carences considérables du scénario. Car pour remplir son obligation de résultat, c’est sans scrupule (ou sous le coup de l’affolement) que Nolan s’en est remis aux recettes les plus piteuses. Les deux premiers films carburaient à un mélange excellent fait de surprises et de suspense ? The dark knight rises le bazarde et à la place se remplit à ras-bord de la piquette du hard discount des films d’action, où trous béants dans la narration – à retrouver ici – et clichés de bas étage (le plan faussement machiavélique et réellement con, la bombe nucléaire qui tombe entre les mauvaises mains, le monologue du méchant qui laisse au gentil le temps de se refaire, le compte à rebours qui accélère ou ralentit, ce genre de chose) s’accumulent jusqu’à l’indigestion. L’image de marque de la série, qui reposait sur son ancrage dans une réalité sérieuse et son peu de goût pour les ficelles cheap, s’en trouve passablement abîmée.

Plus généralement, cela fait mal au cœur de voir que la suite de The dark knight n’est par bien des aspects – ses scènes d’action sans génie, ses personnages sans envergure, ses enjeux quelconques – qu’un blockbuster bourrin et sommaire comme les autres ; comme Avengers. La comparaison ne vient pas de nulle part. Les deux films phares de l’été partagent un état d’esprit (manichéen, avec les bons contre les méchants ; le Joker qui brouillait les lignes est de l’histoire ancienne), un contexte (la menace vient de l’étranger), une propension au surarmement et, de bien triste manière, un dernier acte globalement identique. Un boulevard tracé par le même bulldozer, avec bataille rangée dans Manhattan, destruction massive de buildings, succession de sauvetages providentiels d’un héros par un autre à la dernière seconde, et climax consistant en un vrai-faux sacrifice d’un personnage pour écarter une arme absolue. Déjà que les sujets originaux sont en passe de devenir une espèce endémique à Hollywood, si en plus les studios concurrents mettent en commun leur photocopieuse à scripts, l’imagination s’y conjuguera bientôt définitivement au passé.

L’autre sérieuse désillusion touche le propos de fond du film, ou plutôt son absence. La promesse faite d’une tempête révolutionnaire renversant le système capitaliste, de la même manière que le Joker saccageait son pendant sécuritaire, n’était que du vent. Le thème est à peine plus traité dans le film pris dans son intégralité que dans sa bande-annonce, c’est dire. Bien loin de la pensée personnelle approfondie et murie de longue date qui nourrissait The dark knight, Nolan joue cette fois les opportunistes, humant l’air du temps (la crise financière, les inégalités qui explosent et avec elles la grogne populaire plus ou moins bien orientée) et bâclant à la va-vite un ersatz de réflexion à son sujet. La révolte qui balaye la structure économique et politique de Gotham City (ville qui est devenue un décor inerte) est elle-même prestement balayée, par une longue ellipse qui nous amène directement à la contre-révolution. Ce genre d’effet choc sur le moment et toc à plus long terme est le mode d’expression privilégié de Nolan dans The dark knight rises. Un autre exemple est le twist brutal qu’il s’autorise pour remplacer en un claquement de doigts Bane, soudain jeté comme une vieille chaussette, par un autre méchant, jusque là inactif et dont la motivation se résume à une banale vengeance. Cela donne un film qui ne fonctionne que par l’assommage répété du spectateur[1], dans le but de nous faire oublier que la « résurrection » de Batman après The dark knight a engendré un zombie cinématographique, un produit dont le corps bouge encore mais qui a perdu son âme.

[1] Technique que le Joker décryptait dans The dark knight : « The victim gets all fuzzy, and doesn’t understand the next question »

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