• Fury, de David Ayer (USA, 2014)

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Où ?

À l’UGC George V

Quand ?

Jeudi soir, à 19h

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

À quoi servent les films de guerre ? Plus précisément : à quoi sert un film réalisé aujourd’hui sur la Seconde Guerre Mondiale, vue du champ de bataille, sans recul ni deuxième degré ? Avant tout, à reconvoquer sans cesse ce même ennemi idéal, impérissable et facile d’emploi, qu’est le IIIè Reich. Comme George Clooney dans Monuments Men en début d’année, David Ayer ne peut d’ailleurs s’empêcher d’intégrer à son film la figure d’Hitler, avec aussi peu de justification que de subtilité : alors que toute son histoire se déroule dans la mêlée, sans jamais monter plus haut que les sergents parmi les gradés, les images d’archives illustrant le générique de fin de Fury font apparaître le démoniaque Führer – à trois reprises, rien que ça. Avant d’en arriver là, la subtilité n’a de toute manière jamais été l’atout maître de l’entreprise de dénonciation des salauds nazis (sujet oh combien brûlant et actuel)(ou pas) à laquelle se livre le réalisateur. Chaque affirmation en ce sens – ou sur le thème plus général « la guerre, quelle boucherie » – nous est imposée par un plan coup de poing, qui plus est répété plusieurs fois. Trois pour Hitler donc, au moins autant pour les visions d’enfants soldats, de désobéissants lynchés, de corps brûlant vifs, et pour le cri de ralliement poussé par le héros à notre intention : « Fucking Nazis ! ». Fury veut nous horrifier à la vue de la guerre, et nous exalter à l’idée de la gagner (la musique, insupportable). Le beurre et l’argent du beurre. Un peu trop facile.

Dans l’escouade des films de guerre, Fury est le troufion de base. Du conflit qui le concerne il n’a qu’une vision réduite au minimum : tuer l’ennemi qui vous fait face, et le haïr afin d’accomplir cette tâche sans en avoir trop lourd sur sa conscience. Les considérations de plus haut niveau, stratégiques ou politiques, morales ou philosophiques, sont laissées à d’autres. Ce qui, avant même la dégringolade fâcheuse de son dernier acte vers une purge où l’héroïsme et le patriotisme s’étalent dans leurs pires facilités, pose problème. Ressusciter une guerre datant d’il y a soixante-dix ans, sans s’en servir comme d’un tremplin pour traiter de choses plus vastes (comme ont pu le faire Eastwood dans son diptyque sur Iwo Jima, Tarantino avec Inglourious Basterds, Polanski avec Le pianiste ou Spielberg en remontant plus loin encore avec Cheval de guerre), cela ne sert à rien. Durant 1h30, Fury se débat pour exister malgré cette insignifiance – exactement comme un soldat envoyé au front et y survivant minute par minute. Malgré ses lourdeurs déjà évoquées, le film d’Ayer appartient pendant cette durée à la catégorie de ceux qui arrivent à s’en sortir. Il possède la qualité première pour cela : l’efficacité dans l’action, sur le terrain.

Les deux scènes guerrières non empêtrées dans le pathos (le sauvetage des troupes d’infanterie piégées dans un champ, la prise de la ville) en sont la preuve. Frappant fort et juste, elles représentent un bel exemple de cinéma d’action sachant exactement quels sont ces objectifs et comment les atteindre. La dynamique au sein de l’équipage du tank qui donne son titre au film compte elle aussi au nombre des réussites. Pris individuellement les membres du groupe sont au mieux archétypaux, au pire stéréotypés, mais la manière dont ils interagissent entre eux saisit une part de vérité humaine. Le groupe fonctionne comme une famille recomposée, avec Don / Brad Pitt dans le rôle du patriarche se montrant protecteur ou sévère selon les situations. Une séquence à la durée inattendue, et qui s’avère la plus puissante et mémorable du film, fait évoluer ce groupe comme une entité organique, mouvante, en réaction à la compagnie de deux femmes allemandes se trouvant à leur merci. L’étirement de la scène lui permet de glisser de la tendresse à la méchanceté, de la distraction à la douleur, avec des transitions crédibles et un approfondissement réfléchi de chaque sentiment. On préfère garder en mémoire les soldats de Fury dans ce contexte-ci, plutôt que dans leur pénible chant du cygne à l’intérieur de leur tank.

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