• « Operation Kino » : Inglourious Basterds, de Quentin Tarantino (USA, 2009)

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Où ?

Au Max Linder, plein à craquer

 

Quand ?

Le mercredi soir de la sortie, à 21h30

 

Avec qui ?

Ma femme, mon frère et sa copine, et mon compère de cinémathèque

 

Et alors ?

 

Inglourious Basterds est la concrétisation d’un projet dont Tarantino parle depuis ses toutes premières interviews, ou presque ; faire un film de guerre, son film de
guerre. L’inévitable référence cinéphile à la base de tout long-métrage de Tarantino est cette fois-ci Les douze salopards de Robert Aldrich – ou plutôt sa déclinaison italienne
bis des années 70, inconnue de tous (moi y compris) ou presque, Une poignée de salopards… qui fut distribué aux USA sous le titre The inglorious bastards. Impossible de
faire plus « tarantinesque » que ce processus de filiation alambiquée et déviante, qui préfère les copies opportunistes et futiles aux œuvres originales et renommées. Mais derrière le
clin d’œil facétieux, le titre volontairement mal orthographié renferme la clé d’un film dont l’ambition démesurée est ni plus ni moins que de tout faire reposer, du suspense aux blagues et aux rebondissements, sur les différences de langues et d’accents entre les personnages. Tarantino s’était déjà
amusé avec ce concept dans Kill Bill, mais selon une logique encore ludique, sans conséquence. Ici, cela tient de l’idée folle, idée géniale, idée exécutée au-delà de toutes les
attentes et qui rend Inglourious Basterds fabuleux.

On est donc ici aux antipodes de La liste de
Schindler
et consorts, où les protagonistes allemands et polonais parlent tous la langue de Shakespeare comme une évidence. Désormais les allemands parlent allemand, les
anglais anglais, les français français – pour son premier rôle hollywoodien, Mélanie Laurent conserve ainsi sa langue natale pour la quasi-totalité de ses répliques. Selon leur niveau
d’intelligence et d’implication dans le conflit, certains personnages peuvent éventuellement être bi ou trilingues, mais jamais avec autant de maîtrise que dans leur langue maternelle. Les deux
applications extrêmes de ce postulat sont d’un côté les basterds du titre, bataillon de huit soldats juifs-américains bas de plafond (et emmenés par Aldo Raine, lieutenant rustaud venant
du fin fond du Tennessee ayant fait de la prison pour trafic d’alcool pendant la Prohibition…) dont la seule deuxième langue envisageable est la force brute et méchante ; et de l’autre le
colonel nazi Hans Landa, pratiquant un anglais et un français quasi parfaits. Ce dont il use avec délectation pour transformer son travail – la chasse aux juifs et aux espions – en distraction
consistant à échafauder des guet-apens les plus machiavéliques et sadiques possibles.

La séquence inaugurale expose magistralement ces règles du jeu, qui seront suivies jusqu’à l’autre extrémité des 2h30 du film. Landa rend visite à un fermier français pour s’entretenir avec lui
d’une famille juive du comté qui a disparu. La discussion démarre en français puis, à brûle-pourpoint et sans raison claire, Landa requiert à ce que l’on passe à l’anglais. Rires dans la salle, à
qui on ne la fait pas – voilà encore un réalisateur hollywoodien qui fait le malin cinq minutes avant d’en revenir à sa langue, laquelle rassure le spectateur américain moyen. Mais alors que les
phrases échangées en français n’étaient qu’amabilités et formalités, le passage à l’anglais s’accompagne d’une conduite plus pressante de la part de l’officier nazi. La caméra s’autorise alors un
premier mouvement sophistiqué, dévoilant que les juifs en question sont cachés sous le plancher de la pièce où se déroule la discussion/interrogatoire. Le travelling en question est d’autant plus
puissant que la mise en scène avait été jusque là très sobre, décalquant des styles reconnus pour la fixité de leurs plans – western spaghetti pour l’arrivée à la ferme, théâtre pour la
conversation entre deux personnages, suspense au cordeau pour la montée de l’angoisse. On comprend alors – ou plutôt, Tarantino nous fait comprendre alors – que Landa sait que les juifs sont là ;
et que l’anglais est un moyen d’amener leur protecteur à les trahir, sans qu’ils en prennent conscience. Une fois le piège tendu, le retour au français vient parachever l’épilogue sanglant de
cette « représentation », film dans le film qui mérite plus à lui seul le prix du billet que 99% des longs-métrages sortant semaine après semaine.

Les quatre chapitres suivants sont du même acabit, sans pour autant se répéter paresseusement. Tarantino trouve toujours un moyen de renouveler son concept de situations embrouillées et
périlleuses devant être réglées secrètement, par la maîtrise du langage de l’adversaire – la violence n’intervenant qu’en dernier recours, en cas d’échec. Dans cette application d’une absolue
pureté du principe fondateur du récit d’espionnage, le penchant du réalisateur pour les dialogues à rallonge trouve une formidable raison d’être. Ces joutes verbales ne s’apprécient plus
uniquement pour leur virtuosité, un état poussé à son paroxysme dans Boulevard de la mort ; elles sont toutes porteuses dans Inglourious Basterds d’un danger mortel au moindre faux-pas. Bien
évidemment plus la scène dure, et plus l’instant où les masques tombent à cause d’une erreur, d’un détail devient porteur d’une intensité indescriptible. En plus d’adorer faire durer les scènes,
Tarantino se révèle ici comme un remarquable manipulateur, d’une rouerie toute hitchcockienne, en multipliant les chausse-trappes évités de justesse avant que finalement le couperet tombe. La
séquence marathon du rendez-vous secret entre deux des basterds, un officier anglais et une agent double allemande, dans un troquet situé en sous-sol, est le morceau de bravoure
immédiatement culte du film, où ce talent de plume atteint son apothéose. Un lieu clos et asphyxiant, une dizaine de personnages aux motivations disparates voire franchement contraires, une
tension qui grimpe marche par marche à force de duperies et d’irritations : il n’y aurait aucune vantardise chez Tarantino à dire « this might just be my masterpiece », pour
paraphraser le lieutenant Raine (qui déclare cela en fin de parcours à propos de toute autre chose, les croix gammées qu’il grave au couteau sur les fronts des nazis à qui il laisse la vie
sauve).

Le coup de théâtre le plus époustouflant de cette scène du café « La Louisiane » ne vient pas d’un dialogue, mais d’une coupe visuelle – un contrechamp soudain qui signale la présence
d’un personnage, complètement insoupçonnée jusque là. Tarantino est depuis toujours un maître dans l’usage du hors-champ, des gros plans, des inserts qui permettent en un instant de définir ou
redéfinir une scène ; la bataille épique au sabre qui conclut la première partie de Kill Bill en est le plus démentiel exemple. Dans Inglourious Basterds, il a de
nouveau recours avec bonheur à ces outils de cinéma. Chaque plan, et plus important encore, chaque enchaînement de plans, est pensé et exécuté avec une clairvoyance et un savoir-faire qui
balayent toute concurrence. Tarantino nous montre minute après minute ce que doit être le cinéma. Son exposé a d’autant plus de force que, pour la première fois depuis Jackie
Brown
(et encore plus que dans ce dernier), il ne cherche à aucun moment à être plus malin que son histoire ; simplement à la raconter. Rien ne vient briser la force de la linéarité de
l’intrigue, ou en faire dérailler temporairement les enjeux pour le plaisir d’une digression jubilatoire et gratuite. Les deux apartés, un flashback sur le passé d’une recrue tardive des
basterds et une parenthèse technique nous renseignant sur l’inflammabilité de la pellicule nitrate (tous deux narrés par Samuel L. Jackson), servent l’avancée du récit et ne quittent pas
ce rôle. Quant à la seule insertion décalée d’une chanson pop, Cat people de David Bowie, elle introduit idéalement le grand règlement de comptes final – et au vu du contenu de celui-ci,
il aurait été criminel de la part de Tarantino de passer à côté de telles paroles : « And I’ve been putting out fire / With gasoline ». La chanson semblerait presque écrite
pour Inglourious Basterds et non pour son long-métrage éponyme.

On ne trouvera trace d’aucun autre anachronisme musical dans le reste du film. La toile de fond ne s’y prête pas, de même que le ton voulu par Tarantino : si rien n’est sérieux dans
Inglourious Basterds, tout y est bel et bien grave et nullement sujet à distraction. Il y a une histoire d’espionnage à mener à bien, ou plutôt deux qui s’échafaudent en parallèle
: l’« Operation Kino » dans laquelle sont embrigadés les basterds, et la soif de vengeance de Shosanna Dreyfus, la seule survivante de la famille juive exterminée au
tout début à travers le plancher de la ferme française. Le goût nouvellement découvert du cinéaste pour la mystification et les renversements de situation ne s’exprime pas uniquement au sein des
scènes, mais aussi dans le déploiement du scénario tout entier. Tarantino n’a de cesse de faire basculer l’avantage d’un projet vers l’autre et réciproquement, dressant des murs devant les uns ou
les autres, tuant des personnages-clés, exposant la véritable teneur des connaissances ou soupçons d’un ennemi, tout cela d’un simple claquement de doigts. Il n’est cependant jamais question pour
lui de jouer sur la frustration du spectateur. Son but, follement démiurgique, est d’associer ce dernier au processus d’écriture du film, comme en temps réel. Chacun de ces basculements du film
(sauf un, dont Tarantino conserve la primeur pour lui seul) nous est dévoilé quelques instants avant qu’ils ne surviennent, grâce à un sens du tempo – et donc, là encore, de la mise en scène – en
tous points parfait.

Si, comme écrit plus haut, rien n’est sérieux, c’est parce que tout est cinéma. Là encore, c’était quelque chose que l’on trouvait en gestation dans les précédentes œuvres du réalisateur – la
revanche de la Mariée de Kill Bill dont chaque étape est un hommage cinéphile, les personnages « actrices » de Boulevard de la mort qui réussissent grâce
à leur connaissance du cinéma là où les personnages « réels » de la première partie échouaient. Mais pour la première fois dans Inglorious Basterds, tout est cinéma. Plus aucun lien avec le monde réel ne persiste ; et le film n’en est que meilleur, coming out d’une nature profonde enfin assumée.
Les basterds sont d’absolus héros de cinéma, même si c’est d’un cinéma primaire, de série B. Le colonel Landa est tout autant un parfait méchant de cinéma, que l’on adore détester et
craindre. Autour d’eux, les autres protagonistes sont tout aussi symboliques, femmes superbes et mata-haris et nazis grotesques, de pacotille. La guerre dans laquelle ils sont engagés n’a de
Seconde Guerre Mondiale que le nom. C’en est une recréation foncièrement fictive – le titre du premier des cinq chapitres est à juste titre « Once upon a time… in Nazi-occupied
France »
. Le nerf de cette guerre imaginée par Tarantino n’est pas la domination mondiale ou l’éradication des juifs, mais la passion pour le cinéma. Tous les personnages (seuls sont
écartés de cette complexité, encore une fois, les américains) ont une double identité se rapportant au septième art : l’espionne allemande Bridget Von Hammersmark est une célèbre actrice,
l’officier anglais détaché auprès des basterds est critique de cinéma dans le civil, Goebbels se rêve en nabab d’Hollywood, Shosanna Dreyfus dirige un cinéma de quartier… La plus
éloquente personnification de ce transfert opéré par le cinéaste depuis la réalité vers l’écran de cinéma est le soldat allemand Fredrick Zoller, héros de guerre démobilisé pour rejouer ses
exploits devant une caméra.

 


Passionnés de cinéma, tous ces individus ne parlent forcément que de ça. On
flirte en comparant les mérites de Max Linder et Charlie Chaplin, on marche dans des rues aux murs couverts d’affiches de films, on complimente une femme en remarquant que sa robe la fait
ressembler à Danielle Darrieux, on utilise un film présentement à l’affiche comme référence pour justifier son accent allemand, on fait deviner King Kong au jeu de l’indien (trouver le nom
inscrit sur la carte collée sur son propre front). Et, inévitablement, c’est dans un cinéma et nulle part ailleurs qu’il est envisagé de mettre fin une bonne fois pour toutes au conflit. Point de
rencontre des deux histoires, la séquence dure plus d’une heure. C’est une bacchanale de cinéma, une merveille de construction et d’exécution, de moments d’attente inquiète et d’explosions
titanesques et libératrices ; c’est un long-métrage en soi. C’est la séquence-culte des  Enchaînés de Hitchcock (un même mouvement complexe de descente d’escalier lance les
deux scènes) à la puissance dix. Tous les héros encore en vie y ont droit à leur moment de gloire, et leurs interprètes avec. Venir jouer pour Tarantino, c’est avoir l’assurance de bénéficier
d’un rôle écrit sur mesure pour que vous en fassiez l’un des moments les plus marquants de votre carrière. Je pourrai m’étendre en une longue liste, je m’en tiendrai au carré d’as : Christoph
Waltz / Hans Landa, primé à Cannes, étonnant en alter-ego du réalisateur (facétieux, brillant avec les mots, exubérant jusqu’à en être inquiétant) ; Mélanie Laurent / Shosanna Dreyfus, déjà
citée, aussi fiévreuse en justicière glaciale qu’en proie impuissante qui se sait traquée en permanence ; Diane Kruger / Bridget Von Hammersmark, enfin mise en mesure de se frotter à un
personnage intelligent et spirituel ; et Brad Pitt, second rôle de luxe, splendide crétin sûr de soi, qui remodèle complètement chaque apparition et chaque réplique du lieutenant Aldo Raine par
ses mimiques et son accent traînant du Sud. Et en plus, pour la première fois depuis belle lurette, il fait son âge – bientôt 46 ans – et cela lui va très bien.

 

Une réponse à “« Operation Kino » : Inglourious Basterds, de Quentin Tarantino (USA, 2009)”

  1. sophieloup dit :

    bip bip ……….je decouvre ton blog c est super article complet je savais pas que l on pouvait faire si grand tres belles photo et oui a son age il est se porte bien biz tres douce nuit sophieloup