• Chronicle, de Josh Trank (USA, 2012)

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Où ?

Au ciné-cité les Halles, dans l’une des grandes salles (pleine)

Quand ?

Dimanche soir, à 18h30

Avec qui ?

MonFrère

Et alors ?

Les américains sont très forts pour faire à longueur de temps des films de monstres et de superhéros, mais rarement sur la base d’histoires originales. Chronicle est un de ces cas, ce qui lui fait un deuxième point commun avec Cloverfield en plus de celui, évident, de la forme – le found footage, manœuvre consistant à faire comme si le matériau visuel présenté avait été filmé par les personnages du film eux-mêmes et retrouvé après coup. Le procédé a deux usages principaux : mentir au public en lui faisant croire à un documentaire (Forgotten silver de Peter Jackson) et, maintenant que l’effet est notoirement connu, son contraire, impliquer le public au plus près des protagonistes d’un événement extraordinaire, que nous vivons ainsi quasiment à la première personne. Le projet Blair Witch a ouvert la voie, [REC] et donc Cloverfield en ont été par la suite les expérimentateurs les plus célèbres[1]. Chronicle rompt avec la tradition car il reste pendant longtemps dans une logique anti-dramatique, sans étalage d’effets spectaculaires ou anxiogènes. La caméra subjective sert à la tenue d’un journal intime vidéo par un adolescent brimé et malheureux, chez lui comme au lycée. Andrew est un solitaire, sans savoir si c’est sa faute ou celle des autres, et ce journal filmé est une étape de plus dans sa distanciation par rapport au monde et son repli sur soi.

La situation n’évolue tout d’abord pas vraiment, une fois qu’Andrew et deux autres (Matt, son cousin, et Steve, la coqueluche du bahut) développent des pouvoirs de télékinésie suite à un épisode inexplicable – et qui le restera. L’une des très bonnes idées de Chronicle est de garder entiers le mystère, l’irrationalité entourant ce deus ex machina à l’envers et de n’en considérer que les répercussions. A l’envers, car normalement un tel coup du sort imposé par le scénario vise à sauver les héros d’un mauvais pas ; ici, il les y enfonce, lentement mais sûrement. Raison pour laquelle le journal intime d’Andrew garde la même atmosphère pesante, contrariée. Les trois ados ne peuvent parler à personne de leurs capacités, qui les soudent dans une relation d’amitié indéfectible mais au prix d’un isolement quasi total vis-à-vis des autres. Le found footage trouve alors une double valeur. Il fait de nous les seuls privilégiés à pouvoir partager les moments d’euphorie liés à chaque nouvelle étape de l’accroissement illimité des capacités du trio, bouger des voitures, s’envoler, etc., avec des effets spéciaux dont l’imperceptibilité marque une nouvelle étape dans l’émerveillement, à l’unisson avec ce que les personnages du film ressentent. Mais il a aussi pour effet de dissocier sèchement ces derniers du reste du monde. La caméra de Chronicle existe concrètement dans l’univers du récit, c’est la leur, et un exemple supplémentaire de leurs pouvoirs. Ils la font planer et tournoyer dans les airs comme bon leur chante, assurent eux-mêmes par la pensée la mise en scène du film dans lequel ils jouent – travellings, panoramiques, changements d’échelle des plans. Mais n’est-ce pas là le signe qu’ils sont si cloisonnés qu’il n’y a personne d’autre que eux-mêmes pour les regarder ?

Les regarder, mais également les conseiller, les juger. Ils se voient contraints de fixer seuls les notions de bien et de mal correspondant à leur supériorité nouvelle. Cela requiert de parvenir à se détacher de ses affects, de ses emportements, chose difficile à instaurer et encore plus à mettre en pratique quand il n’y a aucun arbitre pour vous contrôler, que vous êtes vous-même à la fois juge et partie. Ne contenant pas dans son monde de menace à combattre, qui permettrait de canaliser et légitimer la puissance excessive des personnages, Chronicle est un film sur des superpouvoirs plus que sur des superhéros, et en cela tourmenté plus qu’émancipateur. L’équilibre entre la jubilation et les ténèbres n’est en effet pas tenable, il finit par rompre sous l’effet de l’énergie présente. La dislocation est aussi considérable que brusque, un tout autre film en émerge, cruel, animal, désespéré, un nouveau Carrie ou Akira tout aussi dramatique et puissant que ces illustres aînés. Avec la prise de pouvoir de la part sombre des personnages Chronicle change totalement d’échelle, il n’est plus solitaire et caché mais global et offert aux yeux de tous. Le régime des images change en conséquence, avec bonheur : le found footage ne provient plus d’une caméra individuelle mais de tous les moyens d’enregistrement vidéo – caméscopes, téléphones portables, caméras de surveillance, images tv – qui couvrent l’affrontement final à travers les rues et les bâtiments de Seattle. Idée excellente, qui tient tout à fait la route et apporte originalité et dynamisme à la scène, sur toute sa durée (conséquente).

Le réalisateur novice Josh Trank se montre aussi efficace et talentueux dans l’action déchaînée que dans la chronique adolescente intimiste. Certes, il commet une poignée d’erreurs en route (un protagoniste tué arbitrairement, le climax où, par facilité, la mise en scène triche en revenant pour quelques plans à un point de vue omniscient et idéal) mais ce sont des accrocs mineurs face à la façon dont Trank fait courir de part en part, quoi que les personnages fassent, un sentiment de souffrance lancinante et indéracinable. Même l’épilogue ne vient pas trahir cela. Il était particulièrement risqué, car venant à la suite d’une fin de combat remarquable dans sa soudaineté et sa violence, mais il entretient bel et bien la flamme triste qui consume Chronicle : l’inutilité foncière de ces pouvoirs surhumains pour résoudre les tourments humains.

[1] et La casa muda le plus récent

Une réponse à “Chronicle, de Josh Trank (USA, 2012)”

  1. Luk dit :

    Je n’avais pas pensé à Carrie, mais très bonne analyse !

    Mes seules réserves sur le film sont d’ordre technique: tout petit budget, donc les effets 3D sont mal incrustés, et font tâche. La faute aussi à une scène finale un peu longuette qui a du bouffer pas mal de ce budget.

    Dommage, ça reste un film frais et sympathique.

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