• Carrie, de Brian De Palma (USA, 1976)

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A la maison, en DVD zone 2

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Dimanche soir, il y a dix jours

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MaFemme

Et alors ?

 

Carrie est le premier film de commande accepté par Brian De Palma, après une première décennie de carrière au cours de laquelle il s’était appliqué à affirmer une
identité de cinéaste farouchement indépendant et provocant. Ses œuvres d’alors étaient soit totalement originales (Hi, Mom !, Sisters),
soit des réappropriations de classiques – Phantom of the Paradise sur la base du Fantôme de l’Opéra, Obsession qui rejoue le Vertigo de Hitchcock – tellement bousculés et disloqués qu’il en sort des films neufs, singuliers. Mais qui avaient comme autre
caractéristique qu’ils ne rencontraient qu’un maigre succès commercial. De Palma se résolut donc à mettre son talent visuel au service d’un scénario signé par un autre (Larry Cohen), sur la base
d’un roman écrit par un auteur débutant. En aparté, cette adaptation au cinéma joua un rôle non négligeable dans le décollage de la propre carrière de cet auteur, un certain Stephen King.

Les films qui encadrent Carrie dans la filmographie de De Palma sont Obsession et Furie ; deux termes qui
définissent efficacement les fondements du style formel du cinéaste à cette époque. Ce style est d’une virulence et d’une radicalité telles que même avec une autre personne créditée en tant que
scénariste, Carrie est évidemment un film d’auteur. Dès la scène d’ouverture, le timbre et la férocité du récit sont affirmés haut et fort par ce que la mise en scène
fait de l’action décrite sur le papier. Carrie, 17 ans, élève en dernière année de lycée, prend sa douche à l’écart de ses camarades de classe après le cours de sport. La lumière est vaporeuse,
la musique suave, la caméra se déplace doucement, sans heurts puis semble caresser le corps de l’héroïne. De Palma mime les préliminaires d’une scène de masturbation, tout en sachant pertinemment
qu’un écoulement de sang va surgir dans le récit. Le choc est brutal pour nous comme pour Carrie, qui vit là ses premières règles sans avoir la moindre idée de ce qui lui arrive, et étant nue
devant un public qui n’a de toute manière que mépris pour elle, puisqu’elle est leur souffre-douleur. Les filles ne se privent pas de l’occasion d’humilier Carrie jusqu’au bout, riant à tue-tête
de sa détresse et lui jetant des tampons et des serviettes au visage. De Palma filme cette vague d’antipathie et de pure méchanceté avec des techniques qui sont à l’opposé de celles à l’œuvre au
début de la scène, quelques instants plus tôt à peine : montage saccadé, caméra agitée, gros plans disgracieux, bande-son saturée de bruits agressifs.

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Le réalisateur reproduira ce système de renversement soudain du style, à cent quatre-vingts degrés, à deux autres reprises correspondant aux deux autres moments-clés de l’intrigue. Avant cela, il
s’appuie sur la concision du scénario de Cohen, modèle de script de série B efficace et tranchante (des personnages croqués juste ce qu’il faut pour fonctionner, un conflit unique et rapidement
mis en place, un dénouement explosif et spectaculaire), pour circonscrire au maximum les ramifications du film. C’est-à-dire à deux lieux – le lycée, la maison de Carrie –, aux individualités qui
y règnent et aux conflits que celles-ci produisent. Au lycée, ce sont les reines du bal à l’aise avec leur corps et avec les garçons qui échafaudent un plan de représailles cruelles pour faire
payer à Carrie la punition dérisoire qu’elles ont subie suite à leur raillerie dans les vestiaires. A la maison, c’est la mère solitaire et chrétienne fondamentaliste de Carrie (composition
démentielle de Piper Laurie), qui vit en recluse vis-à-vis de la société et refuse à sa fille toute éducation qui lui permettrait de s’en sortir dans cette société. L’ignorance totale de Carrie
sur le sujet de la menstruation en est un aperçu. Tout cela est exposé promptement afin de pouvoir être exploité dans l’immédiat ; une méthode qui est également appliquée au thème central du
roman d’origine, les pouvoirs de télékinésie de Carrie.

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Une seule séquence suffit à De Palma à couvrir la compréhension et la maîtrise de ces pouvoirs par Carrie, et ainsi à faire la transition entre leur découverte et leur usage. Le cinéaste n’a pas
d’intérêt pour eux en eux-mêmes, uniquement pour leur rôle de levier capable de changer le cours du récit. Pour De Palma, Carrie ne peut être autre chose qu’une boule
d’énergie projetée à pleine puissance vers le moment de sa déflagration. Dans ce but, la télékinésie sert en premier lieu à permettre à Carrie de renverser le rapport de force qui l’oppose à sa
mère, et à s’arroger le droit de se rendre au bal de fin d’année au bras de son cavalier en service commandé. Evidemment, cette émancipation en soi remarquable revient en définitive à se jeter
dans la gueule du loup, droit dans le piège tendu par les « ennemies » de l’héroïne. Là se niche la perversité morale du réalisateur, fil directeur de sa filmographie depuis
Hi, Mom ! jusqu’au récent Redacted. Dans Carrie, c’est le personnage le plus repoussant – la mère – et son raisonnement déformé par
la colère et l’aliénation qui finit par avoir raison : sous aucun prétexte Carrie n’aurait dû aller à cette fête. Partant de là, le doute qui germe inévitablement est celui de savoir si la
pertinence du jugement de sa mère implique ou non la pertinence de la conception extrémiste du monde qu’elle prêche…

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De Palma laisse la question en suspens, et fait même mine de ne pas la voir. Dès lors que le grand final a démarré, il concentre toutes les forces de sa mise en scène aux ravages qui s’y
produisent. Comme dit plus haut, pour ce faire il instaure une rupture brutale de style à l’instant même où un séisme terrible brise le rêve qu’est en train de vivre un des personnages. Il filme
ainsi l’avant et l’après selon des régimes différents, contradictoires même, ce qui rend la coupure aussi profonde et douloureuse pour le spectateur que pour la victime. Le premier rêve est celui
de Carrie, qui se voit enfin ouvrir la porte du conte de fées où les princesses adolescentes vont au bal au bras de leur beau cavalier, dansent jusqu’à en être ivres de bonheur et finissent la
soirée en apothéose, élues reine du bal et acclamées sur l’estrade par tous les invités. Lorsque la mascarade devient vengeance – le seau rempli de sang de porc disposé au-dessus de l’estrade et
vidé d’un coup sec sur la tête de Carrie –, la fluidité harmonieuse et la tendresse romantique auparavant aux commandes de la mise en scène laissent la place à des plans secs, arrêtés, raccordés
par des coupes blessantes. C’est une mise en scène non plus de vie mais de mort, celle que Carrie va infliger comme châtiment d’ensemble et aveugle à toutes les personnes présentes, qu’elles
soient complices ou innocentes. Le motif fétiche de De Palma, le split screen, devient alors pour le cinéaste le moyen d’affirmer la supériorité écrasante de son héroïne-bourreau sur ses
victimes. Ils sont piégés, agglutinés dans des cadres sans même que cela les protège du regard enragé de Carrie.

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Le second rêve, en épilogue, prend place dans l’esprit de la seule survivante de la tuerie. Dire que le souvenir de Carrie la hante – et la hantera pour le restant de ses jours, dans une
contradiction grinçante avec ce qu’en dit le médecin venu l’examiner – est un bien doux euphémisme. La technique de la surprise finale qui transforme un rêve en cauchemar et fait se conclure un
film d’horreur sur un ultime sursaut a beau être éculée, l’utilisation qu’en fait De Palma pour boucler son Carrie est une des plus impressionnantes (car une des plus
fulgurantes) qui soit.

3 réponses à “Carrie, de Brian De Palma (USA, 1976)”

  1. BlueCookie dit :

    J’arrive pas à croire que je ne l’ai jamais vu, celui-là…
    En revanche, même en ayant lu le roman et en connaissant la trame principale, j’ai dû m’arrêter au milieu de ton article.
    Massive spoilers ahead, mate !

  2. Cicicle dit :

    Ce film m’avait vraiment impressionnée. Même si certains passage (notamment celui avec l’écran en strips à la Marvel ou en Mondrian) étaient un peu désuets, j’avais été hyper marquée par
    l’interprétation, les personnages…!!
    La nuit, je suis allée faire pipi en courant pendant 3 jours! :)

  3. pourquoi ? Carrie peut aller faire pipi tranquillement et ne tue personne qui va faire pipi :) (de rien pour l’élévation du débat)