• Camille redouble, de Noémie Lvovsky (France, 2012)

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Où ?

Au ciné-cité les Halles

Quand ?

Mardi après-midi, à 16h

Avec qui ?

MaBinôme

Et alors ?

Omniprésente devant la caméra des autres, souvent pour de mémorables seconds rôles (rien que ces derniers mois on l’a vue dans L’Apollonide, Adieu Berthe, Les adieux à la Reine, etc.), Noémie Lvovsky est en réalité devenue actrice sur le tard, alors qu’elle avait débuté comme auteur-réalisateur de ses propres films. Camille redouble, son sixième long-métrage, met fin à une période de flottement de ce côté-là : depuis Les sentiments, en 2003, elle n’avait tourné que Faut que ça danse !, que tout le monde a oublié. Ce nouveau film réunit (réconcilie ?) les deux aspects de sa carrière, puisque c’est le premier où elle est également à l’affiche – et dans le rôle principal en plus, chose qui ne lui a encore jamais été accordée par autrui. Le désir de se trouver au centre de la lumière a dû compter dans la réalisation de Camille redouble, au milieu de nombreux autres éléments qui tous apparaissent à l’écran.

Le résultat est un patchwork irrégulier, fait avec le cœur plus que la tête, et qui s’apprécie précisément pour cette raison. Le concept, éminemment cinématographique, du voyage dans le temps qui est à la base du récit est employé comme un support pour de multiples envies d’histoires. D’une scène, d’un personnage à l’autre, Camille redouble adopte successivement les traits : d’un remake assumé de Peggy Sue s’est mariée de Coppola (que je n’ai pas encore vu personnellement, mais dont des gens de confiance ont listé les nombreux rappels dans le film de Lvovsky : âge de l’héroïne, mari qui la quitte dans le présent, grossesse précoce dans le passé…) ; d’un Retour vers le futur inversé, où l’on ne cherche plus à préserver la naissance mais à tenter d’empêcher la mort ; d’un prolongement des Beaux gosses, dont le réalisateur Riad Sattouf et les acteurs Vincent Lacoste et Anthony Sonigo passent ici jouer des rôles tout à fait gratuits et savoureux ; d’une version féminine de ce même film, Camille retrouvant son groupe de copines freaks du lycée naviguant entre l’évitement des moqueries des autres filles et l’attrait naissant pour les garçons et le sexe ; d’une romance impossible à travers les époques, entre Camille et son professeur de physique à qui elle confie son secret… Il y a tout cela, et bien d’autres choses encore, chaque protagoniste même mineur (l’horloger interprété par Jean-Pierre Léaud, typiquement) débarquant avec sous le bras son univers distinctif, comme à une soirée où chacun amène un plat quel qu’il soit pour garnir le buffet.

Camille redouble est de fait construit à l’envers par rapport aux règles habituelles, qui veulent que tout découle naturellement de l’idée centrale et initiale du projet. En conséquence, il arrive au récit de tituber lorsqu’il change de ton, ou de montrer une certaine inconstance quand il s’engage dans des voies moins fameuses que d’autres. On a affaire à un film qui ne peut s’appuyer sur des qualités ordinaires, balisées – hormis une, son casting, merveilleux sur le papier et qui tient toutes ses promesses grâce à la verve de Lvovsky dans son écriture et sa direction d’acteurs. Yolande Moreau en particulier est parfaite, dans un registre insoupçonné. En dehors de cela, la richesse de Camille redouble est discrète. Elle vient de choses qui irriguent tout le film sans discontinuer, et sans s’afficher. C’est d’une part la foi absolue qui anime Lvovsky dans sa pratique du cinéma : contrairement à tant d’autres, en particulier en France, à aucun moment elle ne s’excuse de jouer pleinement le jeu de la fiction, de l’irréel. Elle ne cherche nulle combine pour rendre légitimes aux yeux des pauvres esprits étriqués dans des logiques terre-à-terre ses élans – ce qui ne ferait que leur rogner les ailes. Elle sait que le cinéma, c’est quoi qu’il arrive une construction factice, et qu’il vaut mieux en profiter (en laissant libre cours à ses idées) plutôt que de chercher à le défaire.

Camille redouble dégage ainsi une fraîcheur délicieuse, alors même qu’il n’a rien de frivole. Sous ses airs dispersés c’est un film pénétré d’une cohérence réelle, et triste. Il nous parle au fond d’un unique sujet, la perte et le deuil qui s’en suit. Tous ses personnages doivent accepter de faire le deuil de quelque chose, ou de quelqu’un, car tous les moments de bonheur ont une durée finie, plus ou moins longue, et à mesure que la vie avance il faut apprendre à vivre avec leur perte. Cela n’a rien de plombant, car Lvovsky n’y voit pas une raison pour arrêter de vivre, au contraire. La réponse qu’elle nous souffle est de vivre pleinement ces moments joyeux, tout en trouvant un moyen d’en préserver le souvenir pour après. Les scènes avec le magnétophone, à la fois très touchantes dans leur cause et gaiement absurdes dans leur exécution, sont la plus belle des mises en pratique de la formule de drame joyeux concoctée par Camille redouble.

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