• Triple play

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Joie : la troisième saison de Fringe poursuit sur les mêmes bases phénoménales que la saison 2. Il faut dire que le passage de témoin de l’une à l’autre s’est effectué dans les meilleures conditions possibles, au moyen d’un triple épisode – le double Over there pour conclure la deuxième saison, auquel s’ajoute en ouverture de la troisième Olivia qui en est la continuation directe – de toute beauté. La série fait alors le grand saut, en nous projetant en compagnie de ses héros dans l’autre univers pour un long séjour et non un fugace saut de puce comme cela se faisait auparavant (à la fin de la saison 1, par exemple). Le flot de détails frappants qui rendent concrète l’altérité de ce monde par rapport au notre est comparable à un raz-de-marée. Les scénaristes en ont disposé dans toutes les marges de l’intrigue de ces épisodes, dans tous les arrière-plans de leurs décors. Mais ils ne sont pas pour autant tombés dans le piège d’en faire le seul ressort de cette expédition. Alors que sa toile de fond est résolument fantastique et d’anticipation, son scénario se construit à partir de recettes parmi les plus classiques et éprouvées du récit à suspense. Une infiltration derrière les lignes ennemies où rien ne se déroule comme prévu, un combat contre son double, l’effacement progressif et inéluctable d’une identité ; Fringe ne réinvente pas la poudre mais se sert des réserves qu’elle trouve pour réaliser des frappes à l’efficacité ravageuse.

La même tactique se prolonge dans les premiers épisodes de la saison 3 avec des résultats tout aussi excellents. Une influence plus précise s’y fait temporairement sentir : celle de l’immense Philip K. Dick. L’épisode 3X03, The plateau, est une adaptation officieuse et remarquable de l’une des plus grandes nouvelles de l’auteur, L’homme doré. Pour le 3X04 la référence se fait littérale, dans le titre de l’épisode : Do shapeshifters dream of electric sheep, détournement malin du titre de la nouvelle ayant inspiré le film Blade runner. Et dans son contenu l’épisode se montre tout à fait à la hauteur du modèle qu’il invoque, en poussant loin dans la bonne direction émotionnelle et philosophique sa réflexion sur l’hybridation entre l’homme et la machine. Le 3X05, enfin, part d’une idée rappelant plutôt Jurassic Park (des corps piégés dans de l’ambre) mais l’ambiance qui y règne de paranoïa – justifiée – des individus envers les systèmes déshumanisés qui les gouvernent n’est rien d’autre que le thème majeur qui a traversé toute l’œuvre de Dick.

Pris dans son intégralité, au-delà des caractéristiques de tel ou tel épisode, ce début de troisième saison applique de manière encore plus approfondie et brillante la logique à trois branches de conduite de l’histoire mise en place dans la saison précédente. Le mélange1 d’enquêtes stand alone, de mythologie d’ensemble et de progression en quasi temps réel est renforcé par le suivi en parallèle de ce qui se passe dans chacun des univers. Les épisodes impairs prennent place dans le « nouveau » et les pairs dans l’« ancien », avec pour nous le rappeler à chaque fois cette idée aussi simple que géniale du code couleur dans le générique (bleu = ancien, rouge = nouveau). Cette répartition est exclusive – les scénaristes s’interdisent de mélanger les univers au sein d’un même épisode –, ce qui ajoute cohésion et suspense. Surtout, elle a pour effet de séparer le récit en deux mini-saisons parallèles de quatre épisodes chacune ; c’est-à-dire une longueur idéale pour raconter une histoire ambitieuse et dense à la télévision, sans être contraint de faire traîner les choses et d’avoir recours au remplissage. Par conséquent tout avance à toute vitesse dans Fringe, dès les premiers instants de la saison, dans un camp comme dans l’autre. La quasi perfection de la saison 2 est encore un peu plus parfaite. Y compris dans ce que la série véhicule comme propos de fond : en donnant une exposition égale à chacun des deux mondes, elle génère en nous une compréhension égale envers les belligérants et leurs motivations. Les craintes au moment du début de la saison 2 d’avoir affaire à une série guerrière bassement manichéenne ne pourraient désormais pas être plus obsolètes. L’absence de jugement et de cloisonnement entre bons et méchants est aussi puissante que dans Lost. Série dont Fringe paraît bien être la digne héritière, si l’on prend aussi en considération ses manipulations de plus en plus sophistiquées et excitantes des notions de réalité tangible, et d’identité établie des protagonistes.

[1] que je décris plus en détails dans mon article consacré à la saison 2

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