• Fins de séries en série (Lost, Fringe)

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Attention, la teneur en spoilers de cet article dépasse de loin les doses communément conseillées.

 

 

Le communiqué de presse de la chaîne ABC pour le dernier épisode de la saison 5 de Lost, The incident, restera donc comme l’un des plus beaux euphémismes de l’année 2009.
« Locke assigns Ben a difficult task » : présenter d’une façon plus neutre la partie de The incident se déroulant en 2007 relèverait également
d’une « tâche difficile ». Parce qu’il est tout de même question, en clair, de tuer Jacob ; et pas de partir chasser Bouboule, le gros sanglier coriace de la jungle de l’Est,
d’apprendre à Sun à parler anglais avec l’accent texan ou bien d’aller demander – sans le fâcher – à Richard s’il a eu son eye-liner et sa crème antirides dans un coffret « deux en un »
pour Noël 1844.



Avant de mourir de la main de son Judas, Jacob a le droit d’être le centre des flashbacks de ce double épisode, après n’avoir été qu’obscurément introduit auparavant – un peu comme Desmond à la
fin de la saison 2, sauf que l’Écossais sautillant (à travers le temps) n’y laissait pas sa peau. Ces flashbacks jacobins font bel et bien de The incident le renversement annoncé de la
série, entre une scène liminaire pour laquelle je manque de superlatifs – disons simplement qu’elle devient instantanément la troisième pierre angulaire de la série, après le « We have
to go back !! »
et la présence de Locke dans le cercueil – et de courtes rencontres aussi placides qu’essentielles avec ce qui reste des survivants du vol Oceanic 815. Je
m’étendrai plus longuement sur les nombreux et massifs chambardements entraînés par l’irruption de Jacob, sur le sens tant du passé que du futur de la série, dans un prochain podcast. Pour m’en
tenir à de « simples » considérations de conduite de récit, l’effet principal de ce changement de perspective est un recentrage sur les personnages de base à l’exécution grandiose et au
timing parfait – juste à l’entrée de la dernière ligne droite, où va se jouer le sprint final. 



Par la grâce d’une écriture d’une maestria presque irréelle, cet épisode semble en effet signer de manière particulièrement satisfaisante l’aboutissement des histoires de quasiment toutes les
pièces rapportées, par leur présence (Ben, Richard, Juliet) ou leur absence (Desmond ?). Tout juste peut-on encore trouver ici ou là un vague mystère, par exemple l’origine du pouvoir de
Miles. Cela ne veut pas forcément dire que ces personnages ne verront pas le bout de la route ; simplement qu’à partir de maintenant, ils vont évoluer de manière quasi-certaine dans l’ombre
des héros de la première heure. Une préséance que la seconde moitié de The incident paraît préfigurer avec le chauffage à blanc du duel Jack / Sawyer : dispute verbale hystérique en
hors d’œuvre, combat à mains nues d’une sauvagerie inouïe pour plat principal, et provocations cinglantes – « See you in Los Angeles » / « This sure doesn’t look like
LAX »
) – au dessert. Si la mort poignante de Juliet se confirme (attention cependant à la jurisprudence Desmond saison 2 / Jin saison 4), le conflit entre ces deux-là pourrait bien être
explosif. Pendant que Hurley, de son côté, se révélera être le vrai héros ; mais je m’égare.



La maestria de l’écriture de Lost se retrouve désormais à tous les niveaux. Chaque prise de risque de la part des auteurs est couronnée de succès, qu’il s’agisse de scènes
précises ou d’orientations à plus long terme de personnages. Pour ce qui est des scènes, l’ouverture de The incident est l’exemple le plus stupéfiant qui soit. Elle ouvre l’épilogue de
la saison, lequel a été monté en épingle depuis une demi-douzaine d’épisodes, par un face-à-face entre deux personnages inconnus, moyenâgeux dans leurs habits et leurs occupations et se lançant
des répliques cryptiques pour le commun des spectateurs. On est alors infiniment plus proche du Septième sceau de Bergman que du concept cousin de Koh-Lanta vendu à ABC
il y a cinq ans ; et pourtant la scène existe, sans concession ni hésitation. Plus loin, le – dernier ? – retour de Rose et Bernard est une autre parenthèse tout aussi brillante, où la
série prend un recul phénoménal sur elle-même et sur sa profonde futilité, et ce sans aucune ironie mais au contraire une immense sincérité.



En ce qui concerne les personnages, l’agencement des événements sur le long terme prouve épisode après épisode que les scénaristes savent réellement où ils vont, qu’il ne s’agit pas d’une pose
factice. Mais ils ne nient pas pour autant le caractère vivant, mouvant, foisonnant d’une série TV ; et ils osent en conséquence lancer régulièrement de nouvelles pistes, de nouveaux
personnages sans savoir d’avance ce que les interprètes choisis, les interactions avec les autres héros et les inspirations futures en feront. Il est de toute évidence beaucoup plus ludique pour
eux, et pour nous d’ouvrir de la sorte la série aux imprévus plutôt que de se contenter de réciter une trame définie il y a plusieurs années ; et le nombre de fois où ce désir a amélioré la
série (Eko et Christian auparavant, Faraday et Chang cette saison) est largement supérieur au nombre de fois où ils nous ont laissés sur notre fin (avec la pauvre Charlotte, principalement). Avec
ce que nous venons d’entrevoir à son propos, l’impénétrable Ilana semble être la dernière descendante en date de cette lignée de succès.

 

Enfin, il faut dire à propos de The incident qu’il s’agit de l’épisode où la série, décidemment en constante progression, démontre jusqu’à présent la plus belle maîtrise de tout ce qui
forme « l’emballage » du script. Les acteurs, Matthew Fox et Josh Holloway en tête, donnent le meilleur d’eux-mêmes ; le compositeur Michael Giacchino continue à nous surprendre
par son inspiration mélodique visiblement sans limites ; et tout ce qui visuellement doit être spectaculaire et haletant (le chantier de la station Swan, le transport de Jughead, l’antre de
Jacob…) délivre encore plus de tension et de grand spectacle qu’espéré. Le plan démesuré en plongée le long de l’immense foreuse du chantier, au tout début de l’épisode, donne le ton de cette
réussite à tous les niveaux. Tout le monde est de toute évidence ravi de travailler sur cette série, et donne en conséquence son maximum. Comment ne pas les suivre ? « It’s our
destiny ! »



La veille de Lost, Fringe
dévoilait elle aussi son renversant cliffhanger de fin de saison, dans la seconde partie d’un récit entamé la semaine précédente avec l’épisode The road not taken. Le rappel des
troupes sifflé au cours de cette première mi-temps (tous les protagonistes importants reviennent, leurs agissements au cours de la saison sont rappelés de même que les mystères les entourant),
bien que quelque peu rageant car nous remémorant que la série a pas mal lambiné en route, permet de faire de There is more than one of everything une apothéose haletante, rondement menée
et particulièrement prometteuse quant à l’avenir. Qui se souvient de l’évidence et de la promptitude avec lesquelles les scénaristes avaient propulsé sur le devant de l’intrigue un téléporteur
fonctionnel à mi-saison ne sera qu’à moitié abasourdi que la première année de Fringe s’achève sur une porte ouverte vers… une réalité parallèle.







 



Les indices semés presque négligemment au cours des cinq dernières minutes (voir les captures d’écran ci-dessus) font espérer le meilleur pour
l’année prochaine, si les auteurs gardent intacte leur audace thématique. A l’aune de ce cliffhanger, les similitudes entre la maturation de Fringe et celle de
Lost il y a cinq ans se révèlent : dans les deux cas, un récit parfois laborieux et hésitant, mais éclaboussé d’éclairs de génie qui nous font prolonger illico de plusieurs
semaines la période d’essai, se termine par un épisode ayant tout d’un nouveau pilote. There is more than one of everything rassemble la poignée d’idées dignes d’intérêt parmi ce qui a
été semé précédemment, et saute dans l’inconnu en faisant table rase non seulement du temps passé mais peut-être bien en prime de l’espace.

 

Les folles promesses engendrées par ce changement radical de perspective ne seront sûrement pas toutes tenues. Mais il suffirait que la moitié le soient, que dans le même temps les imperfections
récurrentes du show soient atténuées (personnages manquant de consistance, scénarios cédant à la facilité dans la résolution des enquêtes – c’était encore le cas avant-hier) et ses atouts
maintenus – perfection plastique des effets spéciaux, place grandissante donnée au scientifique soixantenaire et mystérieux Walter Bishop (John Noble, excellent), imprévisible grain de sable dans
cette mécanique bien huilée – pour que Fringe décolle pour de bon. La période d’essai vient d’être joliment renouvelée, y compris si elle doit se dérouler dans une autre réalité.

 

 

Et en attendant que ces deux séries lâchent le morceau quant au fin mot de leurs cliffhangers respectifs, que fait-on pour nourrir sa boulimie de séries ? De toute évidence on
poursuit la deuxième saison de Gossip
girl
 ; on peut également se tourner vers de nouveaux horizons, en l’occurrence la fascinante mégalopole de Los Angeles qui sert de décor à deux séries lancées le mois
dernier pour une première saison réduite – sept épisodes pour la policière Southland, dix pour la sitcom Party Down. Aucun lien entre les deux donc, en dehors du
lieu (et encore ; Los Angeles est tellement immense que les personnages auraient bien peu de chances de se croiser) et d’une même qualité d’ensemble. Si elles ne semblent pas parties pour
révolutionner leurs genres respectifs, toutes deux en sont d’ors et déjà de séduisants rejetons, au croisement des dernières évolutions. Southland mêle ainsi au principe de son
ancêtre Boomtown (autre série chorale policière profitant de la variété virtuellement infinie de situations et de rencontres offerte par L.A., qui fut annulée prématurément) une
touche de The wire. On y retrouve les mêmes
personnages au bord du gouffre (flics en crise de confiance, junkies, ados piégés dans des guerres de gangs…) ; les mêmes sauts de part et d’autre de la frontière poreuse entre vie
professionnelle et vie privée ; un même refus de sacrifier intrigues de fond et exploration des personnages au profit d’éphémères et artificielles scènes spectaculaires. Le style visuel de
la série, filmée et montée sur le vif sans jamais laisser reposer la tension de ces journées interminables de flics, a par ailleurs des effets addictifs indéniables.



Party down séduit immédiatement par l’originalité de son concept, et surtout de l’utilisation qui en est faite. La petite entreprise de traiteurs (et un peu plus, puisqu’ils se
chargent aussi de la musique, des films souvenirs…) donnant son nom à la série n’apparaît en effet pour le moment que dans des occasions professionnelles, des soirées en tout genre à organiser.
Celles-ci deviennent en conséquence des événements autonomes, cloisonnés les uns des autres, au cours desquels se télescopent – et doivent se régler avant la fin de l’épisode – le bon déroulement
de la réception, les vies privées des invités et des fragments de celles des employés, qui viennent inévitablement parasiter leur travail. Party down joue pour le moment à
merveille du caractère forcément embarrassant de cette intimité temporaire entre ceux qui peuvent se payer les services d’une telle société (les candidats ne manquent pas à L.A. : propriétaires
d’un quartier résidentiel huppé, association de jeunes militants républicains…) et les larbins de celle-ci, mal payés, soumis à un règlement interne politiquement correct jusqu’au ridicule et
faisant ce métier par défaut, en attendant mieux – dans l’univers du show-business, évidemment. Les francs éclats de rire provoqués se nourrissent donc de situations faites d’antipathie -
« Ordinary fucking people ! » – et de désenchantement, soit une combinaison délicate mais enthousiasmante lorsqu’elle est tenue comme c’est pour l’instant le cas. Le casting
sans stars mais rempli de seconds couteaux aussi talentueux que méconnus (Adam Scott vu dans Step Brothers, Martin Starr dans Freaks and Geeks, Jane Lynch dans The L word et 40 ans toujours puceau, Lizzy Caplan dans Une nuit à New York) apporte enfin à cet édifice une
couche d’ironie supplémentaire très bien sentie.



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