• Saisons 5 (2/2) : The wire

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Pendant trois saisons, les n°2, n°3 et n°4, The wire (Sur écoute en bon français) a fait plus que tutoyer les sommets de la série tv ; elle en a redéfini l’altitude, année après année. La saison 5, qui fut la dernière, marque l’arrêt de cette progression illustre. Pas tant en raison d’une chute de la qualité de l’écriture, toujours renversante d’intelligence, humaine autant qu’artistique, et qui le démontre dans des éclairs réguliers tout au long de la saison – le vaste coup de filet qui ouvre l’épisode 7, pour n’en citer que le plus beau. La raison de ce reflux est que la série a atteint les limites de son univers, et n’a dès lors plus d’espace où croître.

Cette ultime frontière s’affirme de deux manières. En premier lieu, The wire avait apporté la touche finale à sa représentation d’ensemble de Baltimore en y intégrant le système scolaire dans la saison 4. Aux côtés de la police et des administrations judiciaire et politique, observées à tous les niveaux de l’échelle, l’école constituait la dernière brique majeure structurant la cité. Pour la saison 5, le créateur du show David Simon et ses auteurs tentent bien d’ouvrir une nouvelle porte en s’intéressant à la presse. Mais le fait est qu’au contraire des autres intervenants les journalistes commentent l’action publique plus qu’ils ne la font, et tout au long de la saison la rédaction du Baltimore Sun reste essentiellement dans sa bulle, dans son récit à part, et la greffe ne prend pas plus que ça. L’autre point indépassable atteint par The wire est d’ordre politique, au sens le plus large du terme. Il se révèle à nos yeux dans le prologue du premier épisode, état des lieux d’une ville brisée, rongée par un cancer si métastasé qu’il n’y a plus aucune rémission envisageable. Ce panorama de désolation est encore plus dur à regarder aujourd’hui, car cinq ans après sa réalisation il prend des airs sinistrement prémonitoires de la situation actuelle. Budget public asséché comme dans les pays du Sud de l’Europe, pans entiers de la ville abandonnés et livrés aux trafiquants comme à Marseille (et ailleurs), plus l’obsession pour la communication et les réélections qui prend le pas sur l’action de fond et la vision à long terme (partout), forment un tableau bien noir.

Le cul-de-sac dans laquelle s’enfoncent ces premières minutes interdit tout espoir réaliste de s’en sortir. Alors la série fait un choix désespéré, brutal, qui ne peut marcher qu’une seule fois et sur un temps limité : se réfugier dans la fiction. Contrainte et forcée, elle se renie, de même que son héros emblématique McNulty abjure son engagement moral en tant que policier en inventant un tueur de série virtuel s’attaquant à des sans-abri. Il maquille pour ce faire des morts naturelles, et redirige les moyens évidemment débloqués par la mairie pour régler cette affaire spectaculaire sur d’autres qui le sont moins, mais qui elles sont bien réelles. A travers l’opposition déséquilibrée entre le numéro isolé d’équilibriste indiscipliné de McNulty, et l’organisation tentaculaire et parfaitement efficiente du caïd de la drogue Marlo Stanfield, The wire préfigure d’ailleurs une autre confrontation du même type, observée avec le même fatalisme froid et passionnant : celle entre Carrie Mathison et Nicholas Brody dans Homeland. Comme McNulty, The wire vit assez mal ce qu’elle est amenée à faire. Le cœur n’y est pas autant qu’auparavant, quand il s’agissait d’amplifier la réalité et non de la détourner. Le récit d’ensemble de cette cinquième saison fonctionne, mais on en voit les coutures et on en ressent les à-coups.

McNulty est la figure de proue de la saison, car il embrasse sciemment l’illusion du conte ; mais pas un personnage n’échappe à celle-ci, même si c’est à son corps défendant, par décision arbitraire des scénaristes. Pour certains il s’agit de continuer à les faire exister, pour d’autres (la majorité) d’apporter un épilogue fermé à leur histoire individuelle. Cette volonté de mettre un point final à toutes ses strophes est le talon d’Achille de cette ultime saison de The wire, car elle est imposée pour chaque protagoniste avant de voir s’il vient une idée de conclusion satisfaisante[1]. Le taux de réussite s’en ressent, le bâclé et le forcé côtoyant l’excellence à laquelle la série nous a habitués. Mais les revers sont vite oubliés, tandis que les adieux les plus forts et les plus humains – la cérémonie de retraite de McNulty, l’évolution de Michael en nouvel Omar… – nous resteront en mémoire aussi longtemps que toutes ces idées plus formidables les unes que les autres qui ont illuminé les saisons précédentes de The wire.

[1] Et alors même que la série se referme sur un montage montrant que la vie poursuit son cours, une perspective qui rend quelque peu caduque la nécessité de conclure franchement

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