• Quand le cinéma indépendant se prend les pieds dans le tapis : Bullhead, Martha Marcy May Marlene, Oslo 31 août

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Trois films estampillés « jeunes auteurs » (deux premiers longs-métrages et un deuxième) ont fait une partie de l’actualité des sorties en salles de la fin du mois de février : le belge Bullhead de Michael R. Roskam, l’américain Martha Marcy May Marlene de Sean Durkin, et le norvégien Oslo, 31 août de Joachim Trier (seul non-débutant de la bande). Tous les trois ont été encensés par une fraction conséquente de la critique, avis que je ne partage malheureusement pas. A mes yeux ils échouent à concrétiser leurs prometteuses intentions de départ en des films d’égale valeur ; à mener à bien leur geste cinématographique. Chose qui peut évidemment se développer au fil du temps et des projets, à condition cependant de ne pas se confiner dans une case formatée de toutes parts, faite pour répondre à un cahier des charges qui nie l’essence d’un cinéma indépendant et alternatif pour n’en garder que l’appellation, sous les applaudissements d’un public conquis puisque entretenu dans le confort de ce qu’il connait déjà.

Pourtant sur la ligne de départ, les trois films ont de quoi frapper fort. Tous donnent vie à un beau personnage principal, « désintégré » (pour reprendre la belle formulation du film, hélas raté, de Philippe Faucon) par rapport à la norme dominante de la collectivité au sein de laquelle il a pour obligation d’évoluer. Dans Martha Marcy May Marlene Martha a passé deux ans dans une secte récusant le monde extérieur, avant de s’enfuir et de trouver refuge chez sa sœur et son fiancé, riches bourgeois qui eux ont suivi à la lettre le plan de vie correspondant à leur classe sociale. Dans Oslo, 31 août, Anders a également échoué à satisfaire aux attentes placées en lui, fils intellectuel d’un foyer aisé et cultivé, et s’est perdu dans l’addiction à toutes sortes de drogues. Le film le suit dans ce qui est sa première journée libre, hors du centre de désintoxication, remontant au gré des rencontres le fil de sa vie interrompue. Dans Bullhead, Jacky ne part pas d’assez haut dans la société (il est éleveur de bétail) pour avoir de quoi trahir son rang, et l’événement qui le transforme en marginal n’est pas de son fait. Je n’en dirai pas plus car l’explication se fait assez tardivement dans le récit et y a valeur de révélation saisissante, et changeant radicalement la donne.

En plus d’un héros/héroïne charismatique, chacun des trois dispose d’un autre réel atout : le milieu entourant ce protagoniste, qu’il s’agisse de la congrégation recluse de Martha, du courant métro-intello-bobo d’Anders, du cartel de trafic d’hormones de croissance de Jacky. C’est justement là que le bât blesse, car au lieu de tirer avantage de ces environnements intéressants – voire, entre les bonnes mains, captivants – pour donner à leurs films respectifs une ampleur nouvelle, les trois réalisateurs opèrent le mouvement inverse, rejetant le contexte dans un arrière-plan reculé où il devient inopérant, inerte. On peut identifier dans chaque film un instant-clé où se fait cette bascule, où commence le renoncement à aller plus loin que la première intention, impressionnante de loin mais quelconque de près. La divulgation du traumatisme enfantin vécu par Jacky est aussi le moment où le scénario de Bullhead devient brouillon, se désintéressant confusément des histoires de trafics mafieux pour concentrer son attention sur la résolution d’affects laissés en suspens pendant quinze ans par ce drame. L’intérêt douteux de ce virage narratif se double en plus d’une hystérisation préjudiciable de la mise en scène. A coups de mouvements d’appareil imposants et de montages dramatiques épaulés par une musique orchestrale intimidante, Roskam se lance en quête d’un lyrisme emphatique mais ne met la main que sur sa version au rabais, la grandiloquence boursouflée aux hormones et particulièrement irritante.

Oslo, 31 août se délite (bien moins que les deux autres, tout de même) à partir de l’insuccès d’un entretien d’embauche, fiasco forcé par le scénario. Toutes les séquences qui suivront seront marquées du même sceau de l’échec, poussant inévitablement Anders à un repli sur soi délétère quand la première partie du film, plus fluctuante entre consentement à la vie et son désaveu mélancolique, laissait entrevoir la possibilité d’un successeur moderne au chef d’œuvre Cléo de 5 à 7. Dès lors qu’il a choisi son camp Oslo, 31 août devient plus téléguidé, moins troublant dans ce qu’il raconte ainsi que dans sa façon de le dire. Les intéressants partis pris expérimentaux du début sont progressivement remplacés par des figures de style rentrant dans le rang du ciné indie générique « de festival ». Le programme libre laisse la place au programme imposé.

Martha Marcy May Marlene expose la minceur de ses intentions lorsque le deuxième des flashbacks sur la vie de Martha dans la secte s’avère être un flash déconnecté du premier, annonçant la logique besogneuse à l’œuvre. Les réminiscences de cette période de la vie de l’héroïne ne sont nullement rattachées entre elles, mais chacune dans son coin l’est solidement à un acte du présent auquel elle sert d’explication mécanique. Résultat, la secte est un prétexte sans consistance, un épouvantail agité en lisière du récit mais jamais développé et donc creux. Le film tourne à la fraude, ne disant rien ni à ce sujet ni sur celui du modèle incarné par le couple ayant recueilli Martha. L’opposition entre le matérialisme stérile (avec une bien lourde métaphore sur l’absence d’enfant) des uns et l’utopie déçue de l’autre reste de pure forme, actée mais en aucun cas explorée. Il suffisait pourtant de se baisser pour ramasser le sujet puissant qu’elle recouvre : la part d’aliénation qui va inévitablement de pair avec l’adhésion aux règles d’un groupe, que ce dernier soit une secte asociale ou la majorité appliquant la pensée dominante. Mais à voir comment il l’esquive, il faut se résoudre au fait que Sean Durkin n’a pas regardé là où il fallait. Peut-être était-il trop concentré sur son final « ambigu » à deux balles, qui laisse la porte ouverte à deux hypothèses de poursuite du récit aussi creuses l’une que l’autre.

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