• Cléo de 5 à 7, d’Agnès Varda (France, 1962)

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Où ?

A la maison, sur le site Mubi/The auteurs désormais accessible sur la Playstation 3

Quand ?

En deux fois, un lundi puis un jeudi soir en janvier

Avec qui ?

MaFemme

Et alors ?

La Nouvelle Vague a eu en commun avec tous les autres grands mouvements cinématographiques, les conservateurs comme les pionniers, d’avoir été essentiellement une affaire d’hommes. Agnès Varda a ainsi été la seule femme réalisatrice de la bande, condition qui a peut-être eu sa part d’influence sur le féminisme franc et affirmé de Cléo de 5 à 7, son deuxième long-métrage après La pointe courte. Jusqu’à l’irruption du personnage d’Antoine dans le dernier chapitre, les femmes occupent de manière exclusive le devant de la scène, condamnant les hommes à l’absence (en conduisant elles-mêmes leurs voitures et leurs taxis, par exemple) ou au statut d’observateur passif – les bataillons d’admirateurs et de collaborateurs qui gravitent autour de Cléo, comparables aux apprentis sculpteurs que l’on découvre installés en cercle autour du modèle qui capte toute leur attention, Delphine (une amie de Cléo). La manière dont cette dernière, qui posait nue, enfile simplement une culotte et une robe légère pour partir en promenade avec son amie est une autre démonstration de la liberté et de l’assurance du film.

L’argument de Cléo de 5 à 7 est pourtant très grave : Cléo attend les résultats d’analyses médicales visant à déterminer la présence ou non d’une tumeur cancéreuse dans son corps. Une infortune qui semble inconcevable pour une jeune femme comme Cléo, belle, séduisante en diable et sur la route du succès puisqu’ayant déjà sorti quelques 45 tours de chansons qu’elle interprète. La jeunesse triomphante du personnage, et la vanité qui va de pair, se retrouvent donc au bord d’un conflit frontal avec la maladie, l’épuisement, la mort, autant de choses qu’elles tenaient avant cela pour absolument étrangères. Le vertige mental et moral d’une telle perspective est évident, et forcément abordé par Agnès Varda ; mais uniquement pour mieux l’épuiser et le dépasser avec promptitude. L’épuiser en une scène, très belle, où alors que Cléo interprète une nouvelle chanson la caméra se rapproche de son visage et, à partir d’un décor tout à fait réel, l’enferme dans un cadre symbolique qui se réduit à un fond noir monochrome. Le dépasser, ensuite, par l’idée de faire se dérouler le film en quasi temps réel, c’est-à-dire sur une période resserrée. Cléo ne vit pas de grande péripétie au cours des 90 minutes que dure le récit, elle se trouve bien au contraire dans un état d’expectative, donc de disponibilité. Ce qui fait d’elle une projection sur la pellicule du rôle tenu par la caméra ; une éponge qui absorbe, dans un mélange d’intention consciente et de hasard, des instantanés de l’existence des gens et des lieux qui croisent sa route.

Le personnage de Cléo et la caméra d’Agnès Varda travaillent en équipe. La première traverse ou investit un endroit, la seconde musarde et s’attarde sur les visages, les occupations, les bribes de conversations, voire même les pensées intimes dans lesquelles elle s’immisce en profitant de l’omniscience du cinéma. Cléo de 5 à 7 pousse à son paroxysme l’un des principes fondateurs de la Nouvelle Vague (et ce plusieurs années avant que les œuvres à visée documentaire de Godard ne fassent de même), consistant à faire descendre dans la rue, au contact de la réalité, le cinéma et ses attributs – tragédies, suspense, amours. Tout cela se joue ici au grand jour, parmi nous ; dans les cafés, les bus, les parcs, ou dans des lieux privés dont la géographie relative et les trajets qui les relient entre eux sont alors explicites, effectifs. De plus le besoin de mouvement permanent du film, afin de remplir son temps réel, fait que Paris y est un terrain de jeu à la présence encore plus forte que chez les autres cinéastes de la Vague. Cléo de 5 à 7 est de ce fait un superbe portrait du quartier Montparnasse de l’époque, des cités d’artistes à la gare et au parc Montsouris, à travers les gens qui y vivaient et y travaillaient alors.

Le découpage du scénario en chapitres, portant le nom des personnes croisées, est emblématique de cette détermination insufflée à l’œuvre par la réalisatrice. Un souffle de vie(s), et non de mort comme le laisse présager le synopsis ; un souffle qui élève l’ensemble du film et s’exprime de manière concrète dans les dernières répliques de Cléo, pour continuer à vivre une fois le long-métrage conclu. Mais ce choix de chapitrage fait également œuvre d’anticipation (le décompte du temps qui file est du 24 bien avant l’heure, et sans les terroristes à torturer), comme à peu près tout dans la mise en scène saisissante de fougue et d’enthousiasme. S’il ne faut en retenir qu’un, Cléo de 5 à 7 est possiblement le film de la Nouvelle Vague qui dans sa forme est le plus en rupture avec le classicisme. Jump cuts, plans en voiture réels (sans utiliser de transparences), intégration d’un film dans le film… tout est étonnant et neuf, contribuant à faire de Cléo de 5 à 7 une œuvre éternellement jeune et vive.

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