• Prince of Texas, de David Gordon Green (USA, 2013)

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Où ?

Au MK2 Bibliothèque

Quand ?

Début juillet, dans le cadre de la compétition de Paris Cinéma

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

Le parcours suivi par David Gordon Green est l’un des plus sinueux du cinéma américain récent. Après avoir été élevé dans la liberté du milieu indépendant, et composé entre autres les élégiaques George Washington et L’autre rive, Green s’est brusquement dérouté vers les cultures sous serre d’Hollywood. Il y retrouva son confrère de fac Danny McBride, qu’il dirigea (ainsi que James Franco) dans deux comédies réalisées sous la bannière d’Apatow – le superbe Délire express et l’affreux Votre majesté. Le cauchemar atteignit son paroxysme avec Baby-sitter malgré lui, l’un des pires produits hollywoodiens que j’ai vus ; et alors que l’on pensait Green sérieusement foutu, au fond du trou, le voici qui revient avec un film d’une beauté et d’une indépendance bouleversantes.

Prince of Texas (en VO Prince Avalanche…) est une délivrance pour tous, metteur en scène et acteurs, personnages et spectateurs. De sa parenthèse californienne, Green a ramené dans le Texas de son enfance deux choses, le comédien Paul Rudd et le thème de la bromance, ces histoires d’amitiés puissantes entre protagonistes masculins qui abondent chez Apatow et consorts. Prince of Texas est une bromance ramenée à l’état de nature, tout le reste étant repoussé hors du champ de la caméra et de l’existence des personnages durant le temps que nous passons en leur compagnie : le récit, la ville, les figures féminines, la société humaine toute entière et avec elle ses demandes. Lance (Paul Rudd) et son beau-frère Alvin (Emile Hirsch) ont pour tâche de refaire la signalisation des routes dans une forêt ravagée l’année précédente par d’immenses incendies. Un travail dont l’utilité est mise en doute par le fait qu’ils ne croisent pas âme qui vive au cours de leurs journées, à l’exception de deux personnes âgées – un chauffeur de camion blasé, et une habitante de la région à la matérialité incertaine. Lance et Alvin passent ainsi le plus clair de leur temps seuls, avec leurs désillusions passées, leurs angoisses concernant l’avenir, et leurs divergences de caractère pour le moment présent.

Ce huis-clos au grand air, introspectif et panthéiste (une série de plans gracieux de la faune et de la flore s’inscrit fortement dans la lignée de Malick), statique – on s’y déplace très peu, et dans ce cas à pied – et partial (le point de vue adopté sur les vicissitudes de la vie est exclusivement masculin), est casse-gueule à bien des égards. Et pourtant il tourne, comme un charme. Tout s’y lie harmonieusement, dans une poursuite persévérante de la douceur et d’une certaine forme de grâce, dans son sens le plus fort. Le fil d’Ariane que Green fait courir à travers Prince of Texas, et auquel il parvient à rattacher tous les gestes et sentiments qui croisent dans le film, est son déphasage vis-à-vis de ce qu’il observe. Il le pratique à tous les niveaux de la réalisation, par des changements d’appui variés et surprenants. Ici le montage se fait soudain elliptique, laissant en suspens des questions qui trouveront leur réponse plus tard. Là les dialogues sont désynchronisés, pour soutenir à la fois l’irréalité et la persistance d’une scène. Mêler à la trivialité du quotidien des héros des apparitions fantomatiques de femmes, ou l’affichage frontal de l’impact de mots écrits dans une lettre, ne pose pas plus de problème à Green, qui fait de ces juxtapositions l’essence de son film.

La séquence de biture qui intervient en climax émotionnel du récit en apporte la plus intense démonstration. Green met sens dessus-dessous cette figure imposée générique – l’ivresse explosive et révolutionnaire – autant que les ficelles narratives qui la traversent ici, grâce à l’emploi de la magnifique musique composée pour le film par le groupe Explosions in the sky. La scène y gagne une énergie purement positive, qui la transforme en un moment de libération euphorique, une bulle de joie radieuse. Elle mène la trajectoire singulière de Prince of Texas vers une conclusion en forme d’ultime crochet, puisqu’elle débouche sur un reflet inversé de la fin de Zabriskie Point après plus d’une heure de vagabondage fidèle dans les traces d’Antonioni (surplace des héros, peur du vide existentiel, poids du deuil de ce qui périt autour de nous). Green croit en un avenir meilleur pour ses personnages, après avoir déjà offert un magnifique présent à ses interprètes. Emile Hirsch reprend le fil d’une carrière en voie d’égarement depuis Into the wild. Surtout, Paul Rudd, que l’on n’avait jamais connu à pareille fête, trouve là à quarante-quatre ans dont vingt de métier un rôle miraculeux, qui révèle enfin l’acteur derrière l’éternel auxiliaire comique.

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