• Into the wild, de Sean Penn (USA, 2007)

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Où ?
Au 5 Caumartin, dans la grande salle alors que le film est en 2è semaine. Et en 3è semaine, il est toujours dans cette salle, malgré l’arrivée dans le même cinéma de Sweeney
Todd
. Avec 500 000 spectateurs en 2 semaines, et une chute des entrées de seulement 11%, le film de Sean Penn s’annonce comme le 1er succès au long cours de l’année. De quoi
combler mon orgueil cinéphile en attendant la gueule de bois que provoquera Astérix aux jeux olympiques mercredi prochain.

 


Quand ?

 

Mardi soir

 


Avec qui ?

Ma femme, et une salle bien remplie (en cohérence avec ce qui est dit plus haut)

 


Et alors ?

 
 

Proposition : la qualité d’un film peut se mesurer à l’aune de toutes les choses négatives qu’il n’est pas. Exemple : le 4è long-métrage de Sean Penn, Into the
wild
, qui part pourtant avec une grande quantité de casseroles potentielles – quête du sens à donner à sa vie, rébellion adolescente, retour à la nature, road movie
constellé de rencontres avec des gens simples mais porteurs de leur propre sagesse personnelle, histoire vraie. Into the wild est tout cela, et au premier degré qui plus
est. Simplement, la conviction sans faille de Sean Penn, son amour évident pour son sujet kaléidoscopique, et la combinaison des talents de chacun (acteurs et techniciens) font du film un voyage
désarmant.

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Into the wild est l’adaptation d’un roman de Jon Krakauer, qui retrace le parcours de Chris McCandless à partir du moment où ce brillant jeune homme de 22 ans choisit de
faire un doigt à la société en partant pour LA fugue plutôt que de suivre le chemin tracé pour lui par ses parents, via Harvard. S’en suivent 2 ans (et 2 heures et demie à l’écran) d’errance
volontairement fauchée et anonyme, contés en parallèle entre la dernière étape dans un bus désaffecté au cœur de l’Alaska et les rencontres faites auparavant sur la route. Les conditions uniques
du tournage – en équipe réduite, avec pour lieux principaux un désert de sable et un de neige – font que Into the wild est le genre de film que l’on fait une fois dans
sa carrière, et dont la réalisation et le résultat se confondent nécessairement. Sean Penn en est conscient, et se jette autant à corps perdu dans cette épopée que McCandless en son temps. Le
film est tracté en permanence par ce désir de liberté, de dérobade jusqu’au-boutiste en réaction aux carcans qui menacent en permanence d’enfermer, de canaliser les esprits – une carrière toute
tracée pour Chris, des films hollywoodiens académiques pour Sean Penn.

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Le cinéaste ose toutes les impulsions, tous les mariages improbables. Il déconstruit la temporalité du récit ; transforme les rencontres de Chris en saynètes dont les développements
émotionnels et les possibilités de nouvelle vie (auprès d’un agriculteur légèrement voyou, d’un couple de hippies cinquantenaires, d’un vieux veuf bourru …) sont abandonnés en suspens ;
utilise des chansons originales composées pour le film, et des effets visuels voyants – ralentis, plans en hélicoptère – ; multiplie les messages de résistance adressés directement au
spectateur, qui culminent dans un chèque de 24 000 dollars libellé de manière évidente par Chris à Oxfam et un intermède face
caméra faisant l’apologie des pommes biologiques. Grâce à tout cela, Into the wild est un film incroyablement riche, grisant, et qui fait crânement face aux risques de
dérive moralisatrice ou naïve pour mieux les balayer d’un revers de la main par sa sincérité et sa fragilité.

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Car il est clair tout au long du récit que ni Chris, ni Sean Penn ne savent où ils vont ni qu’ils pensent avoir « la » réponse aux problèmes du monde. Simplement, ils ont le courage de
poser les questions, et la volonté d’aller au bout de la réflexion aussi ardue soit-elle. Comment réussir sa vie ? exprimer son plein potentiel ? se sentir en phase avec le monde et/ou
avec les hommes ? Extrême visuellement et physiquement (c’est le moment de saluer l’étonnante performance du jeune Emile Hirsch, qui porte sur sa peau et dans son regard cette nécessité de
repousser les limites), Into the wild l’est aussi intellectuellement. C’est cela qui faisait la folie du projet de McCandless, et qui fait la grandeur de l’œuvre d’art
qu’en a tiré Sean Penn : le refus des demi-mesures, des risques pris en milieu contrôlé. Seulement de cette manière peut-on mener un véritable parcours sur soi et son rapport aux autres,
duquel émerge la vérité, la beauté éclatante d’une scène, d’un sentiment. La chasse à l’élan, le gâchis qui s’en suit et l’abîme de réflexion sur l’influence de l’homme sur son environnement que
cela ouvre trônent au sommet des moments bouleversants ainsi façonnés par Penn, et bonifiés par le montage fébrile signé par Jay Cassidy.

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Pour être tout à fait honnête, je citerai un défaut : Sean Penn a par moments tendance à trop faire d’un lourd pathos familial la source de l’aventure de Chris – ce qui réduirait grandement
l’ampleur de celle-ci. Mais dans l’ensemble, son engagement aux côtés de son personnage – et en prolongement de la ballade de celui-ci, qui se plaçait elle-même dans la continuité des grands
romans de Tolstoï ou Thoreau dont McCandless se nourrissait – ne s’essouffle jamais. Jusqu’à la renversante apothéose finale, qui donne raison pour toujours à Chris et à tous ceux qui comme lui
ont osé, osent et oseront se jeter dans le vide ; ces dernières minutes du film poussent à croire que personne n’a jamais eu une vie aussi pleine que Chris McCandless. On en pleure encore de
félicité et de chagrin mêlés longtemps après la séance.

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