• Monnaie de singe (Monkey business), de Norman Z. McLeod (USA, 1931)

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Où ?

À la maison

Quand ?

Dimanche soir

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

Avec Monnaie de singe, les Marx Brothers ne créent pas un film ; ils le détruisent. Il n’y a ni début ni fin (on arrive au milieu d’un gag – les frères dans des tonneaux – et on s’en va alors que la machine comique continue à tourner à plein régime, avec l’ultime blague de « l’aiguille dans une botte de foin »), et entre ces deux non-bornes il n’y a pas plus de structure. Monnaie de singe fonctionne uniquement selon un principe d’épuisement imposé à tous. Épuisement des ressources des situations (la première partie se passe à bord d’un paquebot, et c’est quand il n’y a plus de gags à en tirer que l’on descend à terre, pour s’incruster dans une soirée dansante et costumée), autant que de l’endurance des seconds rôles et des spectateurs. Eux et nous sommes otages de la furie bouffonne animée par la bande des quatre énergumènes, qui transforment tout ce qui croise leur route en chair à canon comique. On a affaire à de véritables sauvages ne respectant rien, pas même leurs blagues. Parmi la masse de preuves de cette assertion contenues dans le film on retiendra la bagarre finale, constamment interrompue par des écarts loufoques sans cohérence entre eux (pause pique-nique, roue de la fortune, commentaire de boxe, etc.), qui se bousculent pour occuper la place du précédent. À ce petit jeu le pire est Groucho, dont les longs délires verbaux se dévorent eux-mêmes en changeant sans cesse de propos. La bouche déblatère sans interruption tandis que le cerveau fait ‘reset’ toutes les vingt secondes.

Mais il n’y a pas un des quatre frères qui ne soit intenable, insupportable, indéfendable ; donc inimitable et surtout indispensable. Ils font voler en éclats toutes les normes censées régir la vie en communauté autant que la réalisation de films, en niant avec un naturel désarmant leur existence. Obsédés par le sexe et immunisés contre les rapports de force entre groupes sociaux, les Marx Brothers évoluent dans une bulle que rien ne peut perforer – alors qu’eux peuvent faire subir tous les outrages possibles à n’importe qui. Puissants et misérables, beaux et laids, hommes et femmes, tous sont égaux face à Groucho, Chico, Harpo et Zeppo, et condamnés à être les victimes expiatoires de leurs gags décochés en rafale. Ceux parmi les seconds rôles qui croient être en train de jouer dans un film ordinaire, un polar ou une romance, sont les moins à l’abri. À peine les bases d’un tel récit ont-elles été sommairement établies que les frères surgissent et mettent tout sens dessus dessous. Il faut les voir réduire en poussière la crédibilité d’une querelle entre gangs rivaux, à laquelle ils se retrouvent mêlés, pour saisir l’étendue de leur capacité de nuisance envers les gens « normaux ». Ce jeu de massacre par l’absurde et la bêtise, par ailleurs hautement cinématographique (entre autres, et vingt ans avant Chantons sous la pluie, un génial détournement sonore en playback, impliquant Maurice Chevalier), provoque une jubilation extraordinaire dès lors que l’on accepte une fois pour toutes de se ranger dans le camp des abrutis contre les raisonnables. Et ces abrutis ont fait des petits (jamais assez nombreux, malheureusement) : chez les frères Farrelly, autour de Will Ferrell, dans la Californie aberrante de Quentin Dupieux.

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