• Les guerres des boutons, de Yann Samuell et Christophe Barratier (France et France, 2011 et 2011)

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Où ?

Au MK2 Quai de Loire puis au Rex

Quand ?

Dimanche matin il y a trois semaines, et jeudi soir à 22h

Avec qui ?

Seul et avec MonFrère

Et alors ?

L’heure est déjà au bilan pour l’épiphénomène ridicule de la rentrée française (un peu délaissé au profit des gadins de l’équipe nationale de rugby, qui a surenchéri sur ce même terrain et ainsi détourné l’attention médiatique) qu’a été la sortie quasi simultanée des deux réadaptations du roman La guerre des boutons de Louis Pergaud. Il semble que jusqu’au bout, les deux concurrents auront été incapables de se distinguer puisqu’ils vont finir l’un comme l’autre autour des 1,5 millions d’entrées, soit bien loin des objectifs de projets aussi richement dotés. A cet échec commercial s’ajoutent deux autres points communs de taille, qui scellent définitivement ce destin commun : les films sont tous les deux très nuls, et – un peu plus surprenant – aucun ne traite du sujet annoncé dans son titre.

La guerre des boutons entre les enfants des deux villages voisins de Longeverne et Velrans, nommée ainsi car les deux camps sectionnent les boutons des vêtements de leurs prisonniers pour les humilier, ni Yann Samuell ni Christophe Barratier ne savent qu’en faire sur les plans narratif comme dramaturgique. Ce renoncement a deux causes, le désintérêt et l’impuissance. Désintérêt car il est clair que chacun des deux réalisateurs ne voit dans le roman de Pergaud qu’un prétexte, qui offre une situation de départ (des enfants dans la France campagnarde du passé) sur laquelle il pourra plaquer son propre récit ne faisant écho qu’à ses obsessions personnelles. Dans ce programme, les scènes de batailles deviennent des points de passage contraints insérés n’importe où et surtout n’importe comment, sans idée de mise en scène, sans logique interne de narration, sans suspense ni entrain. Sans violence non plus, et là est l’impuissance des deux films, produits inféodés à un air du temps aseptisé où il semble inenvisageable qu’un long-métrage de consommation de masse présente des enfants qui se battraient comme des enfants – en se tapant, se mordant, se griffant, etc. L’autocensure vide les combats de toute substance. C’est plus particulièrement marquant (et inepte) dans le Barratier, où chacun de ces non-affrontements est précédé de déclarations de guerre d’une férocité démesurée.

Une scène en particulier symbolise la veulerie des deux films (ou de leur époque), celle où les Longeverne affrontent les Velrans sans vêtements et donc sans boutons. Elle montre aussi en quoi la version Barratier est infiniment plus horrible que celle de Samuell, pourtant déjà bien mauvaise. Dans l’une comme dans l’autre il est visiblement hors de question de montrer des enfants nus à l’écran, d’où le besoin d’une stratégie de contournement. Samuell s’en sort de manière passable en plaçant la bataille dans un champ de blé et en la filmant en plongée, depuis les airs. Barratier, lui, nous prend visiblement pour des abrutis puisqu’il met ses personnages en sous-vêtements (maillot de corps et caleçon) et entoure le combat de deux scènes faisant comme s’ils allaient être nus – l’inspiration leur vient de l’information que les Grecs combattaient nus dans l’Antiquité – ou l’avaient été – un enfant dit à l’instituteur « on les a combattus comme les grecs si vous voyez ce que je veux dire ». Simple médiocrité d’un côté, malhonnêteté sans filet de l’autre, voilà la différence essentielle entre les deux longs-métrages.

Mauvaise, la version Samuell l’est mais dans des proportions presque raisonnables, ai-je envie de dire. Elle cumule à l’évidence tout ce qui contribue à faire un mauvais film. Mal écrit, avec des constructions dramatiques et comiques sommaires et bancales – l’association d’un divertissement d’aventures et d’un récit plus introspectif de passage à l’âge adulte ne prend jamais, les deux histoires ne s’ajustent pas. Mal interprété, les enfants surjouant au-delà de toute limite et se rendant ainsi presque aussi insupportables que Mathilde Seigner, pourtant fidèle à son statut de mètre-étalon du mauvais jeu d’acteur. Mal mis en scène, enfin, puisque Samuell n’a définitivement qu’une seule corde à son arc, cette guimauve dont il peinturlure tous ses films depuis son premier, Jeux d’enfants. Plus sa Guerre des boutons avance et plus elle devient insupportable de ce point de vue, essentiellement de par sa musique qui nous vrille les oreilles. Mais c’est bien un travail d’ensemble de mise en scène qui fait qu’à la fin de la projection on a l’impression d’avoir été plongé tout entier dans un tonneau de mélasse collante dont on va mettre des heures à se débarrasser.

La version Samuell vient par ailleurs grossir les rangs du peloton des films français mous et passéistes, qui reconstituent la France d’avant-hier sous la forme d’images d’Épinal idylliques et vides de sens. La guerre des boutons se déroule en 1957 mais ne propose aucun commentaire sur ce qu’était cette époque, et pas non plus de parallèle avec la société telle qu’elle est maintenant. Ce qui est proposé à l’écran n’est qu’une piteuse tentative d’évasion dans un ailleurs confortable, de repli dans un cocon de bon esprit franchouillard. Au moins Samuell ne fait-il que suivre docilement le mouvement, sans chercher à en prendre la tête : son film ne contient pas non plus de trace de cette nostalgie dégoulinante et rétrograde que d’autres (Le petit Nicolas, La fille du puisatier,…) portent fièrement en bandoulière. C’est une des maigres raisons de ne pas trouver La guerre des boutons si catastrophique. Les autres sont ces étincelles fugitives qui le traversent – le duo Elmosnino/Chabat qui fonctionne plutôt bien, l’escalade finale presque burlesque des moyens mis par les deux camps dans la bataille. Ce n’est pas grand-chose, mais assez pour laisser la place pour que la version Barratier soit pire.

Et pire, elle l’est, dans des proportions qui éprouvent les limites de l’entendement. Après s’être fait la main sur les années 50 (Les choristes) et 30 (Faubourg 36), Barratier s’attaque à son Everest, la Seconde Guerre Mondiale. Sa Nouvelle guerre des boutons se déroule en 1944, ce qui permet de remplir le village de Longeverne de résistants ou au pire sympathisants, à l’exception du maire – comme ça il y a un fils de collabo dans l’école – et de deux miliciens bas de plafond. C’est là une des nombreuses manifestations du souci fondamental que pose ce film, et à travers lui son réalisateur : une vision du monde manichéenne à l’extrême, où tout doit être très nettement bien ou mal. Et où une fois cette catégorisation effectuée, les tenants du bien ont tous les droits pour faire triompher leur cause et justifient tout, y compris les pires dérives, au nom de la « République ». Puisque La nouvelle guerre des boutons a des visées clairement politiques (des séquences entières n’existent que pour illustrer un propos théorique, proclamer des valeurs), il faut lui opposer un argument politique : sa dialectique est celle de George W. Bush et de ses fumeux néoconservateurs. Et plus d’une fois, il se prend les pieds dans le tapis et finit par soutenir la position inverse de celle qu’il pense défendre. Deux exemples (parmi beaucoup d’autres). La révélation de la judéité de la jeune fille cachée dans le village s’accompagne pour elle d’un changement de prénom – de Violette elle devient Myriam, comme si les juifs devaient forcément porter un prénom manifeste. A ce petit jeu, Joseph Goebbels devient plus juif qu’Anne Frank. Quant à la « république des enfants » instaurée par les jeunes de Longeverne, elle a une fâcheuse tendance à fonctionner sur la base des privilèges de classe : le riche peut échapper à la bataille s’il paye, les fils d’hommes prisonniers en Allemagne sont distingués[1].

Tout cela n’est cependant que vaguement irritant, car le film est si catastrophique qu’il fait surtout rire. Il possède ce grand écart qui nourrit les plus beaux navets, entre d’une part des ambitions démesurées et de l’autre une exécution en tous points médiocre. Barratier vise LA grande œuvre de manière ostentatoire, et pour cela multiplie à tout bout de champ les envolées lyriques délirantes cueillies à tout vent. Les emprunts à La liste de Schindler vont évidemment de soi, ceux à Braveheart sont déjà un peu plus hors de propos mais c’est le surmoi Jurassic Park du film (la musique est à la limite du plagiat de celle de John Williams, alors imaginez lorsqu’elle accompagne des plans de nature filmés en hélicoptère) qui bat tous les records de ridicule. Quand l’hilarité ne vient pas de la bande-(pas si)originale, on peut compter sur les trous béants du scénario s’en chargent (surtout dans la dernière partie qui part complètement en vrille) et plus encore sur les dialogues. Avec La nouvelle guerre des boutons, Barratier invente en effet le dialogue cut, voisin du montage cut répandu par Michael Bay. La règle est de limiter les échanges à trois-quatre répliques maximum, lesquelles doivent être les plus courtes possibles. La méthode ne fait toutefois pas tout ; il faut posséder un vrai talent pour faire en sorte que toutes les phrases prêtées aux personnages sonnent si parfaitement creux, pour atteindre au nirvana d’une répartie comme – au hasard – « Voilà des provisions, ça peut toujours servir ».

[1] Par ailleurs, Barratier ne résiste pas à la tentation d’un instant « lettre de Guy Môquet », mais est-ce vraiment surprenant ?

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