• La part des anges, de Ken Loach (Royaume-Uni, 2012)

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Où ?

Au cinéma la Bastille

Quand ?

Dimanche soir, à 20h

Avec qui ?

MaBinôme

Et alors ?

Voir de ses propres yeux La part des anges rend évidente la raison pour laquelle ce vingt-troisième long-métrage de Ken Loach est reparti du dernier Festival de Cannes avec un inattendu Prix du jury, le troisième de la carrière du réalisateur[1]. C’est un film qui fait du bien, qui carbure à la gaieté et à l’optimisme, sans pour autant fléchir sur l’intelligence et la crédibilité. Il se distingue ainsi, par le haut, des comédies ayant recours, par facilité ou faiblesse, à des héros et circonstances improbables pour nous égayer ; et aussi – et surtout, pour le contexte cannois qui nous intéresse – des drames anxiogènes nous imposant une vision uniformément désespérée du monde, qui court à sa perte, et des hommes, répartis entre victimes et bourreaux. Étant donné comment la bouffée d’air chaleureux procurée par La part des anges est déjà délectable quand on la reçoit dans des conditions normales, on n’ose imaginer son effet euphorisant lorsqu’elle surgit au milieu d’un déluge d’œuvres sentencieuses attachées à vous enfoncer le moral dans les chaussettes.

L’intrigue de La part des anges, imaginée par Paul Laverty comme celles de tous les films de Loach depuis Carla’s song (1996)[2], met du temps à se décanter. De la même manière que pour le whisky, nerf de la guerre du film, la lenteur de ce processus de maturation est un faux mal et un vrai bien. Sur le coup, elle fait s’interroger quant au bien-fondé de l’accent mis sur le quotidien ordinaire et les galères récurrentes des personnages, tout petits délinquants qui se rencontrent au hasard d’un programme de travaux d’intérêt généraux. Les intentions du récit sont alors bien vagues, et plus que les jaillissements inégaux d’humour ou de violence c’est l’aspect téléfilm de l’ensemble (tout dans la réalisation est plat) qui s’impose à nous. Mais ce qui émerge de cette torpeur est un subtil assemblage de saveurs, du divertissement qui caresse notre palais, du cinéma qui réchauffe notre gorge, et de l’humanisme qui grise notre esprit. La découverte du mobile et des ramifications de ce second acte où le film s’anime faisant partie du plaisir, je n’entrerai pas dans les détails. Tout ce qu’il y a à savoir est que Loach s’engage avec bonheur dans une voie où on ne l’attendait pas : le film de casse par bras cassés mais débrouillards et sympathiques.

Cette aventure enjouée est une réussite artistique, au scénario vif et à la mise en scène soudain réveillée et entreprenante ; et humaine, grâce au temps qu’il nous a été donné de passer au préalable avec ses protagonistes. Sans cela, ils n’auraient certainement pas pu échapper au costume étriqué de stéréotypes ou comiques, ou tragiques. Là, parce qu’on a pris la peine de nous faire partager un bout de leur vie au lieu de sommairement nous les présenter, et parce que les potentielles scènes clichés les concernant sont adroitement esquivées, les héros existent en tant qu’êtres humains, faits de nuances et de compromis. Ils nous sont sympathiques, et même mieux – ils nous sont proches. Leur succès final n’en est que plus précieux pour nous, et pour ne rien gâcher il est investi du même esprit, à la fois solaire et modeste. Il y a du Capra dans cette manière de faire remporter aux petites gens une petite victoire, qui ne changera pas la face du monde mais suffit à leur fortune et à la notre. Comme La part des anges le fait dire à ses personnages en conclusion : « un gosse, une copine, une bagnole, un boulot, il a assuré ».

Après Looking for Eric, c’est la deuxième fois que Loach se montre sous un jour débonnaire et familier, pratiquant un humanisme de proximité similaire à celui d’un autre vieux sage, Clint Eastwood. Cette nouvelle approche lui réussit, alors qu’il semble avoir fait le tour de la question de la représentation à l’écran des luttes sociales à plus grande échelle depuis ses exceptionnels The navigators et Le vent se lève – ses deux derniers essais dans le genre, It’s a free world et Route Irish, manquaient sérieusement de vigueur. Une page semble se tourner.

[1] en plus d’une Palme d’Or et d’un Prix du scénario, accessoirement

[2] à l’exception de The navigators

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