• La chasse, de Thomas Vinterberg (Danemark, 2012)

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Où ?

A Cannes

Quand ?

En mai

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

En 1998, Festen rapportait à Thomas Vinterberg le Prix du Jury à Cannes. En 2012, La chasse a marqué son retour dans la lumière du festival, après quatorze années d’une éclipse provoquée par une tentative hollywoodienne ayant tourné à la catastrophe (It’s all about love). Au terme de cette errance, le jeune espoir provocateur – il n’avait pas 30 ans au moment de Festen – et dauphin tout désigné de Lars Von Trier nous revient radicalement changé. Le « Dogme » d’antan a laissé la place à une pratique du cinéma vouée à la linéarité et à l’efficacité, du cinéma classique voire académique. La chasse est le résultat d’une équation simple et éprouvée, alliant un « sujet de société » solidement implanté dans les esprits et un premier rôle solide tout court. Le sujet (de société) est la psychose de la pédophilie, et les inculpations à tort qu’elle entraîne, à la manière de l’affaire d’Outreau ; le sujet (humain) est Lucas, gendre idéal, voisin idéal, amant idéal, et à ses heures perdues employé – idéal ? oui – dans un jardin d’enfants qui fait face à des accusations fantaisistes d’attouchements venant d’une, puis de plusieurs gamins. Il devient alors le monstre idéal pour les parents et le martyr idéal pour les spectateurs. Et face à tant d’idéalité, le jury du Festival de Cannes a dû s’incliner et remettre le prix d’interprétation masculine à Mads Mikkelsen.

Le film va enregistrer méthodiquement et froidement les ravages que ces inculpations causent dans la vie de Lucas, non sans avoir pris un malin plaisir à lui faire atteindre juste avant cet incident un état de bonheur sans nuages. Cette première partie, assez longue, de description de l’existence d’un homme comblé et de la communauté sympathique dans laquelle il est intégré sonne juste, dans son observation des rapports humains comme dans le ton qu’elle adopte. La chasse est alors déjà sur de bons rails, puis arrive une scène qui m’a véritablement attaché au film : celle de l’interrogatoire de la petite fille à l’origine du scandale, par des adultes cherchant à en savoir plus. Il a suffi à ces derniers d’entendre une accusation sommaire et non étayée, pour écrire d’eux-mêmes un scénario complet d’abus et être immédiatement convaincus de sa réalité. Ils ne veulent donc pas voir les tentatives de la gamine, consciente d’avoir gaffé, de se rétracter. Lorsque celle-ci le comprend, elle donne aux adultes ce qu’ils attendent afin d’en finir au plus vite avec ce moment désagréable, un assentiment à leurs questions qui sont en réalité des affirmations. La séquence est remarquable car la fille ne dit rien, tout ce qu’elle fait consiste à hocher la tête sans saisir pleinement ou même écouter forcément ce qu’on lui dit. Vinterberg réalise là une très belle illustration de l’effet secondaire, dévastateur, d’une peur panique : être presque satisfait quand semble surgir dans vos vies la source de votre terreur, laquelle s’en trouve ainsi légitimée. Le soulagement d’avoir eu raison d’avoir peur, puisque le pire s’est effectivement produit, l’emporte sur le doute réfléchi et salutaire quand à la vérité des faits.

Une fois cette déchirure ouverte dans son tableau idyllique, La chasse déroule son programme cauchemardesque selon une narration et une mise en scène efficaces. C’est sans surprise, ni audace folle, mais ça tient la route. Les choses se gâtent quand arrive le bout de ladite route – le dégonflement du soufflé paranoïaque, et le retour à la raison. Vinterberg semble alors se prendre lui-même au jeu qu’il dénonce chez ses personnages : il est comme déçu que le cauchemar s’arrête. Et cherche à le prolonger dans une succession de scènes de confrontations forcées, sans intérêt et ouvrant grand la porte aux deux écueils que le film évitait auparavant, la caricature excessive et la posture manichéenne donneuse de leçons. À ce petit jeu La chasse s’égare, jusqu’à une conclusion qui tient plus du court-métrage que du long. Elle entérine l’absence de second souffle, et donc de réelle portée, du film.

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