• Gosford Park, de Robert Altman (USA-Angleterre, 2001)

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Où ?

A la Cinémathèque, dans le cadre de la rétrospective consacrée au réalisateur

Quand ?

Dimanche soir, à 21h

Avec qui ?

MaBinôme

Et alors ?

Gosford Park est l’antépénultième réalisation de Robert Altman, et sa dernière majeure à mon sens – ses deux derniers films, Company sur un ballet et The last show sur une émission de radio country, étant des déclinaisons sans souffle de la « méthode Altman » de composition d’un film choral. Le vrai beau point final de la carrière du cinéaste est bien la double escapade que constitue Gosford Park, en Angleterre et dans les années 1930. Le prétexte au dispositif choral est une partie de chasse organisée par Lord William et Lady Sylvia McCordle à laquelle sont conviés leurs proches, venant comme de bien entendu accompagnés de leurs domestiques qui se joignent au personnel de maison des McCordle pour assurer le bon déroulement de l’événement. Dans son ouverture, Gosford Park pose les bases d’un programme presque trop limpide, où les nobles sont installés upstairs dans leurs chambres et salons luxueux, tandis que les servants se massent downstairs dans des espaces étriqués et sombres. Pour ne citer qu’une déclinaison de cette disparité de statut : les uns dorment seuls dans des lits pouvant accueillir deux (voire trois) personnes, les autres sont rassemblés à deux par chambre sur des matelas pour un.

La mécanique de ségrégation de classe est grippée d’entrée par Altman, au moyen d’un simple parti pris de mise en scène – filmer équitablement les invités et les valets. Il accorde à tous la même importance, le même positionnement de son regard, le même droit à une personnalité complexe, nourrie de secrets et/ou de perfidies. Gosford Park n’est dès ce choix plus une chronique d’oppression, de confrontation ; mais une histoire humaine au sens à la fois le plus général (l’étude entomologique d’une congrégation sociale semblable à une ruche, avec ses rois/reines et ses ouvriers/ères) et le plus intime (l’accent est mis sur les relations de personnes plus que sur leurs faits et gestes concrets). On l’a beaucoup rapproché de La règle du jeu de Jean Renoir, et il est vrai que la citation célèbre de ce dernier, « ce qui est terrible, c’est que tout le monde a ses raisons », raccorde également avec ce que raconte Gosford Park, siège d’un tourbillon de ces raisons, révélations et connexions – ou déchirements – qui ne faiblit pas une seconde du début à la fin. Fidèle à lui-même, Altman nous incorpore dans son récit, au milieu de ceux et celles qui le vivent et non en surplomb d’eux. Cette ambition présente dès le début de sa carrière (voir M.A.S.H., John McCabe) se manifeste dans Gosford Park par l’obligation qui nous est faite d’attendre que les personnages se confient à d’autres pour apprendre des choses à leur sujet.

Il n’est pas question de nous perdre dans la foule par sadisme, mais de nous mettre sur un pied d’égalité, d’humains à humains, avec les individus dont le film nous fait croiser la route. Au début, on est submergé et largué ; puis, à mesure que le temps passe, à force de les côtoyer, on apprend à mieux connaître les protagonistes, à pénétrer leurs mystères et leurs drames. Ce dévoilement progressif oriente le propos de Gosford Park, car plus nous côtoyons ses personnages et plus transparaît la supériorité d’un des deux groupes sur l’autre. Il ne s’agit pas de celui que l’on croit ; les nantis restent à la surface de toute chose, ils n’ont aucune connaissance sur quelque sujet pratique ou humain que ce soit. Les différents savoir-faire et savoirs sont concentrés entre les mains de leur personnel, qui gère de fait leurs existences dans des proportions bien plus vastes que ce qu’ils conçoivent. A contre-courant des poncifs habituels des récits de lutte des classes, Gosford Park porte la proposition discrète et jubilatoire que le pouvoir véritable se situe downstairs, et que ceux qui évoluent upstairs sont moins les donneurs d’ordres que les marionnettes. Au détour d’un meurtre (car oui, au fait, il y a un meurtre dans Gosford Park), il semble même que les domestiques aient droit de vie et de mort sur ces derniers.

Un mot sur la forme, pour laquelle Altman s’inscrit pareillement dans le prolongement de son style personnel qu’il a forgé au cours de la décennie 1970. Au moment de Gosford Park l’heure n’est plus à l’expérimentation et à l’innovation – le cinéaste recueille les dividendes des années passées à cela. Il met en œuvre ce qu’il sait faire à la perfection, cette captation globale de l’image et du son qui crée un véritable collectif, vivant, fourmillant, surprenant. Cette mise en scène brillante est par ailleurs le moyen via lequel Altman garde la maîtrise de son casting des plus affolants (Maggie Smith, Michael Gambon, Kristin Scott-Thomas, Helen Mirren, Clive Owen, Emily Watson, Kelly Macdonald, James Wilby, Stephen Fry, Alan Bates, Derek Jacobi, Richard E. Grant, etc. etc. : tout le Royaume-Uni est là), mis absolument au service du film sans qu’aucun de ses membres ne tire la couverture à soi.

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