• Duellistes, de Ridley Scott (Angleterre, 1977)

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Duellistes est un de ces premiers films qui cernent tout à fait les qualités et les défauts que leur réalisateur n’aura de cesse de manifester par la suite. Pour Ridley Scott, la ligne de partage est bien connue : brillant créateur formel d’un côté, avec un œil parmi les plus aiguisés du cinéma moderne, et piètre analyste des tensions souterraines du monde ou même de ses héros. Le cinéaste anglais fut le premier de cordée d’une nouvelle génération de metteurs en scène1, qui tirent profit de la somme de progrès technologiques récents du cinéma pour se situer aux antipodes de l’expression « there’s more than meets the eye ». Seule la surface visible des choses a de la valeur pour Scott, et le pousse à donner le meilleur de lui-même. Quant au reste (profondeur des personnages, efficacité du récit, intérêt du propos d’ensemble…), sa qualité repose entièrement sur les épaules du scénariste. Et pour Duellistes, celles de l’homme en question – Gerald Vaughan-Hughes – ne sont franchement pas assez larges.

L’intrigue du film a été piochée dans une nouvelle de Joseph Conrad, Le duel, elle-même inspirée par une histoire vraie s’étant déroulée à cheval sur la Révolution Française et le règne de Napoléon Bonaparte : la rivalité délirante entre deux militaires de carrière s’étant affrontés en duel à l’épée à trente reprises en dix-neuf ans. Sujet génial, malheureusement formaté de la pire des manières au cours de sa traduction en scénario. La folie qui en est le moteur effectif est largement étouffée, remplacée par des sections narratives préfabriquées et mollement prévisibles – scission manichéenne du duo de protagonistes entre un bon (qui a droit à une histoire, pas très captivante au demeurant) et un méchant (rejeté dans l’ombre), rôles secondaires féminins qui font tapisserie, contexte historique aussi fidèlement reconstitué dans sa plastique que vidé de son sens profond2. Ce dernier point est bien plus dommageable qu’il n’y paraît, le texte de Conrad reposant tout entier sur l’utilisation du duel comme allégorie de l’affrontement, à l’échelle d’une nation toute entière, entre deux légitimités pour gouverner : celle par héritage inaliénable de la royauté, et celle par affirmation de la force brute du roturier Napoléon. La disparition de ce sous-texte ciselé phrase après phrase par Conrad est un coup dur à l’intérêt de la version filmée. Celle-ci récite une prose apprise par cœur mais dont elle n’a pas saisi la raison d’être.

Reste alors le brio de la mise en scène de Scott, qui par ses choix et la qualité de leur exécution tient la barque à elle seule durant la première heure, jusqu’à la belle séquence glacée et quasi muette de la retraite de Russie. Après, le scénario devient trop présent pour pouvoir être snobé avec la même superbe. Chacune des séquences de duel est le théâtre d’un savant mélange entre un décor remarquablement choisi et exploité, une photographie spectaculaire, et une captation de l’action opérée à hauteur d’homme. Scott se passe au maximum des plans larges et/ou en surplomb. Il fait coïncider notre regard avec celui des duellistes afin que leur querelle envahisse le film comme elle sature leur relation, et même leur rapport au monde. Nous sommes partie prenante du conflit, plutôt qu’un anonyme observateur extérieur. Dommage que le script y mette le holà au moment où la machine commençait à s’emballer suffisamment pour qu’une excitante perte de contrôle devienne envisageable. Et surtout, dommage que Scott ne fasse rien pour esquiver cette contrainte.

Le DVD de Duellistes comporte par ailleurs une véritable pépite : le premier court-métrage du cinéaste, réalisé quinze ans avant son premier long (ce long hiatus fut occupé dans la pub), par un Ridley Scott alors âgé de 25 ans. Boy and bicycle est une œuvre étonnante car révélant une sensibilité aux antipodes de la neutralité que Scott affiche dans ses longs-métrages. A partir d’un thème classique (une journée d’école buissonnière d’un adolescent – interprété par Tony Scott ! – qui se pose des questions sur sa vie et sa famille), il use de la stylisation pour donner naissance à une fugue au sens artistique du terme, nébuleuse, vibrante et émouvante. Avec sa photographie en noir et blanc sur des plans essentiellement allusifs, et sa voix-off introspective au contenu poétique (qui donne beaucoup d’importance aux odeurs et aux sons de la ville, aux souvenirs qu’ils évoquent), le Ridley Scott de 1962 a des affinités nettes avec la Nouvelle Vague et les essais méditatifs d’Antonioni. S’il avait été français ou italien plutôt qu’anglais, qui sait s’il n’aurait pas embrassé plus fortement encore ces influences, et eu une toute autre carrière…

1 dont son propre petit frère, Tony Scott, qui pousse film après film le concept dans ses retranchements

2 exactement comme dans Le discours d’un roi (ceci est une pique gratuite)

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